Cas. Soc. 4 novembre 2020 n°19.18178

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Amiens, 24 avril 2019), M. S..., engagé par la société [...] le 14 juin 1982 en qualité de monteur, a été placé en arrêt de travail pour maladie à compter du mois de novembre 2013. Aux termes de deux visites médicales de reprise en dates des 10 juillet et 27 juillet 2015, le salarié a été déclaré inapte avec préconisation d'un travail sans manutention ni port de charges compte tenu de ses capacités restantes. Candidat aux élections professionnelles en décembre 2015, il a acquis la qualité de salarié protégé et a été licencié le 4 mars 2016 pour inaptitude et impossibilité de reclassement, après notification de l'autorisation de l'inspecteur du travail le 1er mars.

2. Le salarié a saisi la juridiction prud'homale le 13 mai 2016 en paiement de diverses sommes au titre de l'exécution et de la rupture du contrat de travail, faisant notamment valoir que l'employeur n'avait pas respecté les dispositions de l'article L. 1226-10 du code du travail en ne consultant pas régulièrement les délégués du personnel.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

3. L'employeur fait grief à l'arrêt de le condamner à payer au salarié la somme de 22 908 euros à titre de dommages-intérêts en application de l'article L. 1226-15 du code du travail, alors « qu'en l'état d'une autorisation administrative non frappée de recours accordée à l'employeur de licencier pour inaptitude un salarié protégé, le juge judiciaire ne peut apprécier le caractère réel et sérieux du motif de licenciement au regard du respect par l'employeur de son obligation de reclassement ni la régularité de la consultation préalable des délégués du personnel ; qu'en retenant, pour dire que le licenciement était irrégulier et que le salarié pouvait prétendre à l'indemnité prévue par l'article L. 1226-15 du code du travail en cas de méconnaissance des obligations prévues par l'article L. 1226-10 du même code, que les délégués du personnel n'auraient pas été valablement consultés, la cour d'appel a violé le principe de séparation des pouvoirs issu de la loi des 16-24 août 1790, le décret du 16 fructidor an III, ensemble les articles R. 2421-1 et R. 2421-4 du code du travail. »

Réponse de la Cour

Recevabilité du moyen

4. Le salarié conteste la recevabilité du moyen. Il soutient qu'il est contraire à la thèse soutenue en appel ou à tout le moins nouveau, l'employeur ayant, devant la cour d'appel, conclu au bien fondé du licenciement sans contester la compétence du juge judiciaire.

5. Cependant, le moyen ne se réfère à aucune considération de fait qui ne résulterait pas des énonciations des juges du fond. Et devant la cour d'appel, l'employeur, soutenant avoir respecté la procédure de licenciement, concluait au rejet de la demande d'indemnité fondée sur l'article L. 1226-10 du code du travail.

6. Le moyen est donc recevable comme étant de pur droit et non contraire à la thèse développée en appel.

Bien-fondé du moyen

Vu la loi des 16-24 août 1790, le décret du 16 fructidor an III et les articles L. 1226-10 et L. 1226-15 du code du travail :

7. Le juge judiciaire ne peut, sans violer le principe de la séparation des pouvoirs, en l'état d'une autorisation administrative de licenciement pour inaptitude d'un salarié protégé, apprécier la régularité de la procédure d'inaptitude, le respect par l'employeur de son obligation de reclassement et le caractère réel et sérieux du licenciement.

8. Pour condamner la société au paiement d'une certaine somme à titre de dommages-intérêts en application de l'article L. 1226-15 du code du travail, l'arrêt constate que l'employeur n'a pas recueilli l'avis des délégués du personnel sur les possibilités de reclassement du salarié reconnu inapte après le deuxième avis rendu par le médecin du travail et avant l'engagement de la procédure de licenciement alors qu'il indiquait qu'aucun reclassement n'était possible, la procédure de licenciement ayant été engagée le 2 octobre 2015 et l'employeur précisant, dès cette date, au salarié que son reclassement au sein de la société s'avérait impossible.

9. En statuant ainsi sur la régularité de la procédure d'inaptitude alors que le licenciement avait fait l'objet de l'autorisation administrative de licenciement accordée le 1er mars 2016 par l'inspecteur du travail, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Et sur le second moyen

Enoncé du moyen

10. L'employeur fait grief à l'arrêt de le condamner à payer au salarié la somme de 535 euros à titre de rappel de prime de vacances pour l'année 2015, sur le fondement de l'article 20 de la convention collective départementale des industries métallurgiques, mécaniques et connexes de l'Aisne du 30 septembre 2005, alors « que selon l'article 20 de la Convention collective départementale des industries métallurgiques, mécaniques et connexes de l'Aisne du 30 septembre 2005, pour les salariés qui, dans la période du 1er juin de l'année précédente au 31 mai de l'année en cours, auraient totalisé plus de 30 journées d'absence, le complément annuel subira une réduction proportionnelle à la durée des absences, quels qu'en soient les motifs, à l'exception des absences n'affectant pas la durée des congés payés et notamment la période limitée à une durée ininterrompue d'une année pendant laquelle le contrat de travail a été suspendu pour accident du travail ou maladie professionnelle ; que pour apprécier ces conditions la cour d'appel, saisie d'une demande portant sur la prime de vacances au titre de l'année 2015, a pris en considération la présence du salarié sur la période comprise entre le 1er juin 2013 et le 31 mai 2014 ; qu'en statuant de la sorte, cependant que la période à prendre en considération était celle comprise entre le 1er juin 2014 et le 31 mai 2015, et cependant qu'elle constatait que le salarié avait été absent de façon continue depuis le mois de novembre 2013, la cour d'appel a violé le texte conventionnel précité. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 20 de la convention collective départementale des industries métallurgiques, mécaniques et connexes de l'Aisne du 30 septembre 2005 :

11. Selon ce texte, les mensuels inscrits dans l'entreprise au 31 mai, auront droit, prorata temporis par mois entier, à un complément annuel de rémunération qui devra être versé au moment du départ en vacances ou au moment du paiement des congés payés. Pour les salariés qui, dans la période du 1er juin de l'année précédente au 31 mai de l'année en cours, auraient totalisé plus de 30 journées d'absence, le complément annuel subira une réduction proportionnelle à la durée des absences, quels qu'en soient les motifs. Il ne sera toutefois pas tenu compte des absences n'affectant pas la durée des congés payés, c'est-à-dire, notamment de la période limitée à une durée ininterrompue d'une année pendant laquelle le contrat de travail a été suspendu pour accident du travail ou maladie professionnelle.

12. Pour condamner l'employeur au versement d'une certaine somme au titre de la prime de vacances pour l'année 2015, l'arrêt retient que pour la prime de l'année 2015 revendiquée par le salarié, il ressort des éléments du dossier qu'au 31 mai de l'année précédente, soit 2014, le salarié était toujours présent au sein des effectifs de la société, qu'il ne bénéficiait pas d'une année de suspension de son contrat de travail ininterrompue en ce que son arrêt de travail n'a débuté qu'en novembre 2013 et qu'il avait bénéficié d'arrêts de travail pour maladie professionnelle.

13. En statuant ainsi, alors que la période de référence à prendre en compte pour l'attribution de la prime de vacances pour l'année 2015 n'était pas la période comprise entre le 1er juin 2013 et le 31 mai 2014 mais celle comprise entre le 1er juin 2014 et le 31 mai 2015, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne la société [...] à verser à M. S... la somme de 22 908 euros à titre de dommages-intérêts en application de l'article L. 1226-15 du code du travail et la somme de 535 euros à titre de rappel de prime de vacances pour l'année 2015, l'arrêt rendu le 24 avril 2019, entre les parties, par la cour d'appel d'Amiens ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Douai ;

Condamne M. S... aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du quatre novembre deux mille vingt.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyens produits par la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat aux Conseils, pour la société [...]

PREMIER MOYEN DE CASSATION

Il est fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'AVOIR condamné la société [...] à payer à Monsieur S... la somme de 22.908 € à titre de dommages et intérêts en application de l'article L. 1226-15 du Code du travail ;

AUX MOTIFS QU'« en l'espèce, il ressort des éléments du dossier que Monsieur S... a été convoqué à un entretien préalable à licenciement fixé au 6 octobre 2015 par courrier en date du 29 septembre 2015, le courrier mentionnant "votre reclassement s'avérant impossible au sein de notre entreprise, nous sommes contraints d'engager une procédure de licenciement." Par courrier en date du 2 octobre 2015, l'employeur a informé le salarié du report de l'entretien à une date non communiquée au motif qu'il rencontrait des difficultés concernant son reclassement. Par courrier en date du 18 janvier 2016, Monsieur S... a été convoqué à un nouvel entretien préalable à licenciement fixé au 28 janvier 2016. Si l'employeur soutient qu'il a abandonné la procédure de licenciement en adressant un courrier au salarié le 2 octobre 2015, il ressort de la lecture des termes de cette lettre que la procédure n'a pas été abandonnée, seul l'entretien préalable à licenciement étant reporté. Aux fins d'établir qu'il a consulté les délégués du personnel sur les possibilités de reclassement de Monsieur S... déclaré inapte, l'employeur verse aux débats deux comptes rendus de réunion. Il sera cependant observé que le procès-verbal de réunion du 4 janvier 2016 ayant pour objet la recherche d'un reclassement de Monsieur S... n'est pas signé par les délégués du personnel et qu'il ne mentionne comme personnes présentes que Monsieur U..., le président et Madame O..., la secrétaire. Le second procès-verbal de réunion, particulièrement succin, en date du 14 janvier 2016 est signé par les délégués du personnel, Monsieur R... et Monsieur Q.... Il ne ressort cependant pas de ce procès-verbal que des informations suffisantes aient été communiquées aux délégués du personnel. Il ne ressort pas davantage des éléments communiqués par l'employeur que les délégués du personnel aient disposé des informations nécessaires quant à l'état de santé du salarié et la recherche de reclassement. Au vu de ces éléments, il y a lieu de constater que l'employeur n'a pas recueilli l'avis des délégués du personnel sur les possibilités de reclassement du salarié reconnu inapte après le deuxième avis rendu par le médecin du travail et avant l'engagement de la procédure de licenciement alors qu'il indiquait qu'aucun reclassement n'était possible, la procédure de licenciement ayant été engagée le 2 octobre 2015 et l'employeur précisant dès cette date au salarié que son reclassement au sein de la société s'avérait impossible. Par infirmation du jugement entrepris, il sera par conséquent fait droit à la demande d'indemnité formée par le salarié » ;

ALORS, TOUT D'ABORD, QU'en l'état d'une autorisation administrative non frappée de recours accordée à l'employeur de licencier pour inaptitude un salarié protégé, le juge judiciaire ne peut apprécier le caractère réel et sérieux du motif de licenciement au regard du respect par l'employeur de son obligation de reclassement ni la régularité de la consultation préalable des délégués du personnel ; qu'en retenant, pour dire que le licenciement était irrégulier et que Monsieur S... pouvait prétendre à l'indemnité prévue par l'article L. 1226-15 du Code du travail en cas de méconnaissance des obligations prévues par l'article 1226-10 du même Code, que les délégués du personnel n'auraient pas été valablement consultés, la cour d'appel a violé le principe de séparation des pouvoirs issu de la loi des 16-24 août 1790, le décret du 16 fructidor an III, ensemble les articles R. 2421-1 et R. 2421-4 du Code du travail ;

ALORS, ENSUITE, QUE si les dispositions de l'article L. 1226-10 du Code du travail exigent que l'avis des délégués du personnel intervienne avant la proposition de reclassement, une telle exigence ne résulte, en l'absence de proposition de reclassement, ni de ce texte, ni de l'article L. 1226-12 du même Code dans leurs rédactions respectives applicables à l'espèce ; que la procédure de licenciement pour inaptitude d'origine professionnelle n'est donc pas irrégulière au regard des textes précités si l'employeur est en mesure d'établir, ainsi qu'il offrait de le faire en l'espèce, qu'il n'existait aucune possibilité de reclassement susceptible d'être soumise à l'avis des délégués du personnel ; que la cour d'appel a considéré comme irrégulière la procédure de licenciement, faute de consultation régulière des délégués du personnel, cependant qu'il était constant aux débats qu'aucune proposition de reclassement n'avait été formulée et que la société [...] offrait de démontrer qu'aucune proposition de reclassement n'aurait été possible ; qu'en statuant de la sorte, les juges du fond ont violé par fausse application les articles L. 1226-10 et L. 1226-12 du Code du travail dans leur rédaction applicable en la cause, ensemble les articles L. 1232-1 et L. 1235-1 du même Code ;

ALORS, ENFIN ET EN TOUTE HYPOTHÈSE, QUE la cour d'appel a retenu, pour dire que la consultation des délégués du personnel était irrégulière, que le salarié avait été convoqué à un entretien préalable à un éventuel licenciement avant ladite consultation ; qu'en statuant de la sorte, cependant qu'il était constant aux débats que cette première convocation n'avait pas été suivie d'effet, l'entretien prévu n'ayant même pas eu lieu, et que la société [...] avait par la suite engagé une nouvelle procédure de licenciement en convoquant le salarié postérieurement à l'avis favorable au licenciement des délégués du personnel, à un entretien préalable à son éventuel licenciement pour inaptitude et impossibilité de reclassement, avant de solliciter l'autorisation administrative de licenciement, la cour d'appel a violé les articles L. 1226-10 et L. 1226-12 du Code du travail.

SECOND MOYEN DE CASSATION

Il est fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'AVOIR condamné la société [...] à payer à Monsieur S... la somme de 535 € à titre de rappel de prime de vacances pour l'année 2015, sur le fondement de l'article 20 de la convention collective départementale des industries métallurgiques, mécaniques et connexes de l'Aisne du 30 septembre 2005 ;

AUX MOTIFS QUE Il n'est pas contesté par les parties que l'article 20 de la convention collective de la métallurgie de l'Aisne, applicable à l'espèce, dispose notamment que les salariés inscrits dans l'entreprise au 31 mai auront droit à un complément annuel de rémunération qui devra être versé au moment du départ en vacances ou au moment du payement des congés payés. Pour les salariés qui, dans la période du 1er juin de l'année précédente au 31 mai de l'année en cours auraient en totalité plus de 30 journées d'absence, le complément annuel subira une réduction proportionnelle à la durée des absences, quels qu'en soient les motifs. Il ne sera cependant pas tenu compte des absences n'affectant pas la durée des congés payés et notamment la période limitée à une année ininterrompue d'une année pendant laquelle le contrat de travail a été suspendu pour accident du travail ou maladie professionnelle. Le droit à perception de cette prime s'apprécie en conséquence en fonction de la présence du salarié au 31 mai de l'année précédente. Pour la prime de l'année 2015 revendiquée par Monsieur S..., il ressort des éléments du dossier qu'au 31 mai de l'année précédente, soit 2014, le salarié était toujours présent au sein des effectifs de la société, qu'il ne bénéficiait pas d'une année de suspension de son contrat de travail ininterrompue en ce que son arrêt de travail n'a débuté qu'en novembre 2013 et qu'il avait bénéficié d'arrêts de travail pour maladie professionnelle. L'employeur, qui ne produit pas de pièces relatives aux sommes versées par le régime de prévoyance, n'établit pas que le salarié a bénéficié de la prime de vacances pour l'année 2015. En conséquence, par infirmation du jugement entrepris, il sera fait droit à la demande de Monsieur S... à ce titre » ;

ALORS QUE selon l'article 20 de la Convention collective départementale des industries métallurgiques, mécaniques et connexes de l'Aisne du 30 septembre 2005, pour les salariés qui, dans la période du 1er juin de l'année précédente au 31 mai de l'année en cours, auraient totalisé plus de 30 journées d'absence, le complément annuel subira une réduction proportionnelle à la durée des absences, quels qu'en soient les motifs, à l'exception des absences n'affectant pas la durée des congés payés et notamment la période limitée à une durée ininterrompue d'une année pendant laquelle le contrat de travail a été suspendu pour accident du travail ou maladie professionnelle ; que pour apprécier ces conditions la cour d'appel, saisie d'une demande portant sur la prime de vacances au titre de l'année 2015, a pris en considération la présence de Monsieur S... sur la période comprise entre le 1er juin 2013 et le 31 mai 2014 ; qu'en statuant de la sorte, cependant que la période à prendre en considération était celle comprise entre le 1er juin 2014 et le 31 mai 2015, et cependant qu'elle constatait que le salarié avait été absent de façon continue depuis le mois de novembre 2013, la cour d'appel a violé le texte conventionnel précité.