Faits et procédure

1. Invoquant des faits de concurrence déloyale et de parasitisme impliquant notamment les sociétés Gestal, Ressorts Masselin et Getzner France (la société Getzner), la société Gerb a d’abord obtenu, par ordonnance rendue sur requête fondée sur l’article 145 du code de procédure civile, la désignation d’un huissier de justice avec mission de procéder à des constats.

 2. La société Gerb a ensuite demandé au président d’un tribunal de commerce à être autorisée à assigner en référé d’heure à heure, en considération de l’urgence, et à ce qu’il soit statué sans entendre les avocats en application de l’article 8 de l’ordonnance no 2020-304 du 25 mars 2020.

3. Par ordonnance du 6 mai 2020, le juge des référés du tribunal de commerce a fait droit à ces demandes.

4. Par actes des 7 et 11 mai 2020, la société Gerb a assigné devant ce juge des référés les sociétés Gestal, Société d’interventions et réalisation en bobinage, électricité et mécanique, Ressorts Masselin et Getzner.

5. Conformément aux termes de l’ordonnance autorisant à assigner d’heure à heure, les avocats des parties ont déposé leurs dossiers au greffe, sans être entendus.

6. Le 15 mai 2020, l’avocat de la société Getzner a déposé au greffe une question prioritaire de constitutionnalité.

Enoncé de la question prioritaire de constitutionnalité

7. Par ordonnance du 29 mai 2020, le juge des référés du tribunal de commerce de Saint-Nazaire a transmis une question prioritaire de constitutionnalité, reçue le 5 juin 2020 au greffe de la cour de cassation, ainsi rédigée : « L’article 8, alinéa 1, de l’ordonnance no 2020-304 du 25 mars 2020 est-il conforme à la Constitution au regard du préambule de la Constitution. et particulièrement de l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, de l’article 55 de la Constitution éclairé par l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme ?  »

Examen de la question prioritaire de constitutionnalité

8. En premier lieu, la Cour relève que la requête doit être regardée comme posant la question de la constitutionnalité de l’article 8 de l’ordonnance no 2020-304 du 25 mars 2020, dans son ensemble indivisible de dispositions applicables au litige, le premier alinéa prévoyant la possibilité pour un tribunal d’examiner une affaire civile sans tenir d’audience, ne pouvant être apprécié qu’en considération des conditions de mise en oeuvre de cette faculté, fixées au second alinéa.

9. En deuxième lieu, la disposition critiquée est issue de l’ordonnance no 2020-304 du 25 mars 2020, prise en application de l’article 11, 2°, de la loi no 2020-290 du 23 mars 2020 qui a autorisé le Gouvernement, afin de faire face aux conséquences, notamment de nature administrative ou juridictionnelle, de la propagation de l’épidémie de covid-19, à prendre par ordonnance toute mesure adaptant les règles relatives notamment à la publicité des audiences et à leur tenue.

10. Cette disposition n’a pas, à ce jour, fait l’objet d’une ratification législative.

11. Toutefois, l’article 8 de l’ordonnance précitée, qui apporte une exception aux conditions posées par l’article L. 212-5-1 du code de l’organisation judiciaire, issu de la loi no 2019-222 du 23 mars 2019, et qui instaure une procédure sans audience publique, relève du domaine législatif. Dès lors, en application de la jurisprudence du Conseil constitutionnel (décisions no 2020-843 QPC du 28 mai 2020 et no 2020-850/851 QPC du 3 juillet 2020), il convient de considérer que si cette disposition a été introduite par voie d’ordonnance, elle ne pouvait plus, conformément au dernier alinéa de l’article 38 de la Constitution, être modifiée que par la loi dans les matières qui sont du domaine législatif, à compter du

24 juin 2020, date d’expiration du délai d’habilitation, et qu’à compter de cette date, elle doit être regardée comme une disposition législative.

12. En troisième lieu, l’article 8 de l’ordonnance no 2020-304 du 25 mars 2020, applicable au litige, n’a pas été déclaré conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d’une décision du Conseil constitutionnel.

13. En quatrième lieu, si la question, en ce qu’elle porte sur la conformité de dispositions législatives à l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, n’est pas nouvelle, elle présente un caractère sérieux pour les raisons suivantes :

14. La tenue d’une audience publique en matière civile est l’un des moyens propres à assurer un droit à un procès équitable, garanti par l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 (décision no 2019-778 OC du 21 mars 2019).

15. Or, l’article 8, en son premier alinéa, prévoit, pendant la période de l’état d’urgence instauré par la loi no 2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19, que lorsque la représentation est obligatoire ou que les parties sont assistées ou représentées par un avocat, le juge ou le président de la formation de jugement peut, à tout moment de la procédure, décider qu’elle se déroule selon la procédure sans audience. Le second alinéa du texte accorde aux parties un délai de quinze jours pour s’opposer à la procédure sans audience, sauf dans un certain nombre de procédures particulières comme les procédures en référé, les procédures accélérées au fond et les procédures dans lesquelles le juge doit statuer dans un délai déterminé.

16. Est sérieuse la question de savoir si l’article 8 précité, qui instaure une procédure sans audience, sans qu’aucune possibilité ne soit prévue pour les parties, dans les litiges spécifiques répondant à une condition d’urgence et qui donnent lieu, dans la plupart des cas, à des décisions exécutoires de plein droit, de s’opposer à la décision du juge, au surplus dispensée de motivation spécifique, d’organiser une telle procédure, est conforme aux droits garantis par l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 au regard des considérations précitées.

17. En conséquence, il y a lieu de la renvoyer au Conseil constitutionnel.

PAR CES MOTIFS, la Cour : 

RENVOIE au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité ;


Président : M. Pireyre
Rapporteur : Mme Jollec, conseiller référendaire
Avocat général : M. Gaillardot, premier avocat général