« Renvoi préjudiciel – Article 17 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne – Droit de propriété – Article 47 de la charte des droits fondamentaux – Droit à un recours effectif – Décision-cadre 2005/212/JAI – Confiscation des produits, des instruments et des biens en rapport avec le crime – Directive 2014/42/UE – Gel et confiscation des instruments et des produits du crime dans l’Union européenne – Réglementation nationale prévoyant la confiscation, au profit de l’État, du bien utilisé pour commettre l’infraction de contrebande douanière – Bien Arrêt

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 17, paragraphe 1, et de l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »).

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’une procédure pénale engagée contre OM au sujet de la confiscation, à la suite de la condamnation de celui-ci pour contrebande douanière qualifiée, d’un bien utilisé pour commettre ladite infraction appartenant à un tiers de bonne foi.

 Le cadre juridique

 Le droit de l’Union

 La décision-cadre 2005/212/JAI

3        Le considérant 3 de la décision-cadre 2005/212/JAI du Conseil, du 24 février 2005, relative à la confiscation des produits, des instruments et des biens en rapport avec le crime (JO 2005, L 68, p. 49), énonce :

« Conformément au point 50 b) du plan d’action de Vienne, dans les cinq ans suivant l’entrée en vigueur du traité d’Amsterdam, il conviendra d’améliorer, et, au besoin, de rapprocher les dispositions nationales en matière de saisie et de confiscation des produits du crime, en tenant compte des droits des tiers de bonne foi. »

4        Aux termes de l’article 1er, troisième et quatrième tirets, de cette décision-cadre, intitulé « Définitions » :

« Aux fins de la présente décision-cadre, on entend par :

[...]

–        “instrument” tous objets employés ou destinés à être employés, de quelque façon que ce soit, en tout ou partie, pour commettre une ou des infractions pénales,

–        “confiscation” une peine ou une mesure ordonnée par un tribunal à la suite d’une procédure portant sur une ou des infractions pénales, aboutissant à la privation permanente du bien ».

5        L’article 2 de ladite décision-cadre, intitulé « Confiscation », prévoit :

« 1.      Chaque État membre prend les mesures nécessaires pour permettre la confiscation de tout ou partie des instruments et des produits provenant d’infractions pénales passibles d’une peine privative de liberté d’une durée supérieure à un an, ou de biens dont la valeur correspond à ces produits.

2.      En ce qui concerne les infractions fiscales, les États membres peuvent recourir à des procédures autres que des procédures pénales pour priver l’auteur des produits de l’infraction. »

6        Aux termes de l’article 4 de la même décision-cadre, intitulé « Voies de recours » :

« Chaque État membre prend les mesures nécessaires pour faire en sorte que les personnes affectées par les mesures prévues aux articles 2 et 3 disposent de voies de recours effectives pour préserver leurs droits. »

 La directive 2014/42/UE

7        Les considérants 9, 33 et 41 de la directive 2014/42/UE du Parlement européen et du Conseil, du 3 avril 2014, concernant le gel et la confiscation des instruments et des produits du crime dans l’Union européenne (JO 2014, L 127, p. 39, et rectificatif JO 2014, L 138, p. 114), énoncent :

« (9)      La présente directive vise à modifier et à étendre les dispositions des décisions-cadres 2001/500/JAI [du Conseil, du 26 juin 2001, concernant le blanchiment d’argent, l’identification, le dépistage, le gel ou la saisie et la confiscation des instruments et des produits du crime (JO 2001, L 182, p. 1),] et 2005/212/JAI. Ces décisions-cadres devraient être partiellement remplacées pour les États membres liés par la présente directive.

[...]

(33)      La présente directive porte sensiblement atteinte aux droits des personnes, non seulement des suspects ou des personnes poursuivies, mais aussi des tiers qui ne font pas l’objet de poursuites. Il est donc nécessaire de prévoir des garanties spécifiques et des voies de recours judiciaires afin de garantir la sauvegarde des droits fondamentaux de ces personnes lors de la mise en œuvre de la présente directive. Cela inclut le droit d’être entendu pour les tiers qui font valoir qu’ils sont les propriétaires des biens concernés ou qui affirment détenir d’autres droits de propriété (“droits réels”, “ius in re”), tels qu’un droit d’usufruit. La décision de gel devrait être communiquée à la personne concernée le plus rapidement possible après son exécution. Les autorités compétentes peuvent toutefois reporter la communication de ces décisions à la personne concernée pour les besoins de l’enquête.

[...]

(41)       Étant donné que l’objectif de la présente directive, à savoir faciliter la confiscation des biens en matière pénale, ne peut pas être atteint de manière suffisante par les États membres mais peut l’être mieux au niveau de l’Union, celle-ci peut prendre des mesures, conformément au principe de subsidiarité consacré à l’article 5 du traité sur l’Union européenne. Conformément au principe de proportionnalité tel qu’énoncé audit article, la présente directive n’excède pas ce qui est nécessaire pour atteindre cet objectif. »

8        L’article 2 de cette directive, intitulé « Définitions », prévoit :

« Aux fins de la présente directive, on entend par :

[...]

3)      “instrument”, tout bien employé ou destiné à être employé, de quelque façon que ce soit, en tout ou en partie, pour commettre une ou des infractions pénales ;

4)      “confiscation”, une privation permanente d’un bien ordonnée par une juridiction en lien avec une infraction pénale ;

[...] »

9        L’article 3 de ladite directive, intitulé « Champ d’application », dispose :

« La présente directive s’applique aux infractions pénales couvertes par :

a)      la convention établie sur la base de l’article K.3, paragraphe 2, point c), du traité sur l’Union européenne, relative à la lutte contre la corruption impliquant des fonctionnaires des Communautés européennes ou des fonctionnaires des États membres de l’Union européenne [...] ;

b)      la décision-cadre 2000/383/JAI du Conseil du 29 mai 2000 visant à renforcer par des sanctions pénales et autres la protection contre le faux monnayage en vue de la mise en circulation de l’euro [(JO 2000, L 140, p. 1)] ;

c)      la décision-cadre 2001/413/JAI du Conseil du 28 mai 2001 concernant la lutte contre la fraude et la contrefaçon des moyens de paiement autres que les espèces [(JO 2001, L 149, p. 1)] ;

d)      la décision-cadre 2001/500/JAI du Conseil du 26 juin 2001 concernant le blanchiment d’argent, l’identification, le dépistage, le gel ou la saisie et la confiscation des instruments et des produits du crime [(JO 2001, L 182, p. 1)] ;

e)      la décision-cadre 2002/475/JAI du Conseil du 13 juin 2002 relative à la lutte contre le terrorisme [(JO 2002, L 164, p. 3)] ;

f)      la décision-cadre 2003/568/JAI du Conseil du 22 juillet 2003 relative à la lutte contre la corruption dans le secteur privé [(JO 2003, L 192, p. 54)] ;

g)      la décision-cadre 2004/757/JAI du Conseil du 25 octobre 2004 concernant l’établissement des dispositions minimales relatives aux éléments constitutifs des infractions pénales et des sanctions applicables dans le domaine du trafic de drogue [(JO 2004, L 335, p. 8)] ;

h)      la décision-cadre 2008/841/JAI du Conseil du 24 octobre 2008 relative à la lutte contre la criminalité organisée [(JO 2008, L 300, p. 42)] ;

i)      la directive 2011/36/UE du Parlement européen et du Conseil du 5 avril 2011 concernant la prévention de la traite des êtres humains et la lutte contre ce phénomène ainsi que la protection des victimes et remplaçant la décision-cadre 2002/629/JAI du Conseil [(JO 2011, L 101, p. 1)] ;

j)      la directive 2011/93/UE du Parlement européen et du Conseil du 13 décembre 2011 relative à la lutte contre les abus sexuels et l’exploitation sexuelle des enfants, ainsi que la pédopornographie et remplaçant la décision-cadre 2004/68/JAI du Conseil [(JO 2011, L 335, p. 1)] ;

k)      la directive 2013/40/UE du Parlement européen et du Conseil du 12 août 2013 relative aux attaques contre les systèmes d’information et remplaçant la décision-cadre 2005/222/JAI du Conseil [(JO 2013, L 218, p. 8)],

ainsi que par d’autres instruments juridiques si ceux-ci prévoient spécifiquement que la présente directive s’applique aux infractions pénales qu’ils harmonisent. »

10      L’article 12 de la directive 2014/42, intitulé « Transposition », dispose, à son paragraphe 1 :

« Les États membres mettent en vigueur les dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires pour se conformer à la présente directive au plus tard le 4 octobre 2016. Ils en informent immédiatement la Commission. »

11      L’article 14 de cette directive, intitulé « Remplacement de l’action commune 98/699/JAI et de certaines dispositions des décisions-cadres 2001/500/JAI et 2005/212/JAI », prévoit :

« 1.      L’action commune 98/699/JAI [du 3 décembre 1998 adoptée par le Conseil sur la base de l’article K.3 du traité sur l’Union européenne, concernant l’identification, le dépistage, le gel ou la saisie et la confiscation des instruments et des produits du crime (JO 1998, L 333, p. 1)], l’article 1er, point a), et les articles 3 et 4 de la décision-cadre 2001/500/JAI, ainsi que les quatre premiers tirets de l’article 1er et l’article 3 de la décision-cadre 2005/212/JAI sont remplacés par la présente directive pour les États membres liés par la présente directive, sans préjudice des obligations de ces États membres relatives aux délais de transposition de ces décisions-cadres en droit national.

2.      Pour les États membres liés par la présente directive, les références faites à l’action commune 98/699/JAI et aux dispositions des décisions-cadres 2001/500/JAI et 2005/212/JAI visées au paragraphe 1 s’entendent comme faites à la présente directive. »

 Le droit bulgare

12      Selon l’article 37, paragraphe 1, du Nakazatelen kodeks (code pénal, ci-après le « NK ») :

« Les peines sont :

[...]

3.      la confiscation des biens disponibles ;

[...] »

13      Il ressort de l’article 242, paragraphe 1, du NK que la contrebande qualifiée est passible d’une peine privative de liberté de trois à dix ans et d’une amende de 20 000 à 100 000 leva bulgares (BGN) (environ 10 226 à 51 130 euros).

14      L’article 242, paragraphes 7 et 8, du NK dispose :

« (7)      [...] L’objet de la contrebande est saisi au profit de l’État quel qu’en soit le propriétaire, s’il n’existe plus ou a été cédé, un montant correspondant à sa valeur aux prix de détail nationaux est déterminé.

(8)      [...] Le moyen de transport ou le contenant utilisé pour transporter les marchandises objet de la contrebande est saisi au profit de l’État, et ce également lorsqu’il n’appartient pas à l’auteur de l’infraction pénale, sauf si sa valeur ne correspond pas à la gravité de l’infraction. »

 Le litige au principal et les questions préjudicielles

15      À la date des faits au principal, OM, employé comme chauffeur par une société de transport établie en Turquie, effectuait des transports internationaux avec un tracteur routier et une semi-remorque appartenant à cette société.

16      Le 11 juin 2018, alors qu’il se préparait à effectuer un transport entre Istanbul (Turquie) et Delmenhorst (Allemagne), OM a accepté la proposition qui lui avait été faite par une personne de transporter illégalement, contre rémunération, 2 940 pièces de monnaie anciennes en Allemagne.

17      Le 12 juin 2018, après avoir franchi la frontière entre la Turquie et la Bulgarie, OM a fait l’objet d’un contrôle douanier à l’occasion duquel les pièces de monnaie, qui avaient été dissimulées dans le tracteur routier, ont été découvertes.

18      Les pièces de monnaie, dont une expertise archéologique et numismatique a évalué la valeur à 73 500 BGN (environ 37 600 euros), le tracteur routier, la semi-remorque, la clé de contact et les certificats d’immatriculation dudit tracteur ont été retirés et recueillis en tant que preuves matérielles de l’infraction présumée.

19      Au cours de l’enquête, le directeur de la société turque employeur d’OM a demandé la restitution du tracteur routier et de la semi-remorque, en faisant valoir que ladite société ne présentait aucun lien avec l’infraction pénale et que la restitution desdits biens n’entraverait pas l’enquête. Cette demande a été rejetée par le procureur en charge de l’enquête au motif que les preuves matérielles étaient, conformément au droit bulgare, conservées jusqu’à la clôture de la procédure pénale et qu’une restitution entraverait l’enquête. Le directeur a attaqué la décision de rejet devant l’Okrazhen sad Haskovo (tribunal régional de Haskovo, Bulgarie), qui a confirmé celle-ci par ordonnance du 19 octobre 2018, non susceptible de recours.

20      Par jugement du 22 mars 2019, OM a été condamné par l’Okrazhen sad Haskovo (tribunal régional de Haskovo) pour contrebande douanière qualifiée à une peine privative de liberté de trois ans et à une amende de 20 000 BGN (environ 10 200 euros). Les pièces de monnaie et le tracteur routier ont été saisis au profit de l’État conformément, respectivement, à l’article 242, paragraphe 7, et à l’article 242, paragraphe 8, du NK. En revanche, la semi-remorque, non directement liée à la commission de l’infraction, a été restituée à la société employeur d’OM.

21      OM a formé appel de ce jugement devant l’Apelativen sad – Plovdiv (Cour d’appel de Plovdiv, Bulgarie) en tant que celui-ci ordonnait la saisie du tracteur routier, en faisant valoir que cette saisie était contraire notamment aux dispositions du traité FUE ainsi que de la Charte.

22      La juridiction de renvoi relève que la saisie au profit de l’État du véhicule qui a servi à transporter l’objet de la contrebande, prévue à l’article 242, paragraphe 8, du NK, est, certes, une saisie obligatoire à la suite de la commission de l’infraction de contrebande, mais ne constitue pas une peine, contrairement à la confiscation des biens du coupable, visée à l’article 37, paragraphe 1, point 3, du NK.

23      Cela étant, cette juridiction éprouve des doutes quant à la compatibilité de l’article 242, paragraphe 8, du NK, qui a été adopté antérieurement à l’adhésion de la République de Bulgarie à l’Union européenne le 1er janvier 2007, avec les dispositions du droit de l’Union, notamment avec l’article 17, paragraphe 1, et l’article 47 de la Charte.

24      Plus particulièrement, ladite juridiction considère que la saisie visée par cette disposition, y compris lorsque le moyen de transport qui a servi à transporter l’objet de la contrebande n’appartient pas à l’auteur de l’infraction, pourrait conduire à un déséquilibre entre l’intérêt du tiers propriétaire qui n’a pas participé et n’est en aucune façon lié à l’infraction pénale, et l’intérêt de l’État à saisir ce bien au motif que celui a été utilisé pour commettre l’infraction.

25      À cet égard, la juridiction de renvoi se réfère à l’arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme du 13 octobre 2015, Ünsped Paket Servisi SaN. Ve TiC. A. Ș. c. Bulgarie (CE:ECHR:2015:1013JUD000350308), par lequel celle-ci aurait jugé que la saisie, sur la base de l’article 242, paragraphe 8, du NK, d’un camion appartenant à une société établie en Turquie était contraire à l’article 1er du protocole no 1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950, dont le contenu est identique à celui de l’article 17, paragraphe 1, de la Charte. Cette juridiction aurait, en effet, relevé que la société propriétaire du camion avait été privée d’un accès à la justice, la procédure nationale ne lui ayant pas permis d’exposer son point de vue, de sorte qu’un équilibre entre tous les intérêts n’aurait pas été assuré.

26      Dans ce contexte, la juridiction de renvoi expose que, selon le considérant 33 de la directive 2014/42, eu égard au fait que celle-ci porte sensiblement atteinte aux droits des personnes, il est nécessaire de prévoir des garanties spécifiques et des voies de recours judiciaires afin de garantir la sauvegarde des droits fondamentaux de ces personnes, à savoir non seulement des suspects ou des personnes poursuivies mais également des tiers qui ne font pas l’objet de poursuites, et que cela inclut le droit d’être entendu pour les tiers qui font valoir qu’ils sont les propriétaires des biens concernés.

27      Dans ces conditions, l’Apelativen sad Plovdiv (Cour d’appel de Plovdiv) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)      Convient-il d’interpréter l’article 17, paragraphe 1, de la [Charte] en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation nationale telle que celle de l’article 242, paragraphe 8, du [NK], prévoyant la saisie au profit de l’État d’un moyen de transport ayant servi à accomplir une infraction pénale de contrebande douanière qualifiée, appartenant à un tiers qui ne savait pas, et qui ne devait ni ne pouvait non plus savoir, que son employé commettait cette infraction pénale, au motif que cette réglementation ne respecte pas l’équilibre strict entre l’intérêt général et l’exigence de protection du droit de propriété ?

2)      Convient-il d’interpréter l’article 47 de la [Charte] en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation nationale telle que celle de l’article 242, paragraphe 8, du [NK], permettant de saisir un moyen de transport appartenant à une personne qui n’est pas celle qui a commis l’infraction pénale, sans que cette personne, le propriétaire, se voit garantir un accès direct à la justice afin de faire valoir son point de vue ? »

 Sur la compétence de la Cour

28      L’Apelativna prokuratura – Plovdiv (parquet d’appel de Plovdiv, Bulgarie) et le gouvernement grec concluent à l’incompétence de la Cour pour répondre aux questions préjudicielles, dès lors que la législation nationale en cause au principal se situerait en dehors du champ d’application du droit de l’Union. Ils font valoir, notamment, que le juge national n’invoque aucune disposition du droit de l’Union permettant d’établir un lien de rattachement suffisant entre le litige au principal et le droit de l’Union.

29      À cet égard, il y a lieu de relever que les questions préjudicielles ne visent explicitement que des dispositions de la Charte, à savoir l’article 17, relatif au droit de propriété, ainsi que l’article 47, relatif au droit à un recours effectif et à accéder à un tribunal impartial.

30      Il convient de rappeler que le champ d’application de la Charte, pour ce qui est de l’action des États membres, est défini à l’article 51, paragraphe 1, de celle–ci, aux termes duquel les dispositions de la Charte s’adressent aux États membres uniquement lorsqu’ils mettent en œuvre le droit de l’Union (arrêt du 6 octobre 2015, Delvigne, C‑650/13, EU:C:2015:648, point 25 et jurisprudence citée).

31      L’article 51, paragraphe 1, de la Charte confirme la jurisprudence constante de la Cour selon laquelle les droits fondamentaux garantis dans l’ordre juridique de l’Union ont vocation à être appliqués dans toutes les situations régies par le droit de l’Union, mais pas en dehors de telles situations (arrêt du 6 octobre 2015, Delvigne, C‑650/13, EU:C:2015:648, point 26 et jurisprudence citée).

32      Ainsi, lorsqu’une situation juridique ne relève pas du champ d’application du droit de l’Union, la Cour n’est pas compétente pour en connaître et les dispositions éventuellement invoquées de la Charte ne sauraient, à elles seules, fonder cette compétence (arrêt du 6 octobre 2015, Delvigne, C‑650/13, EU:C:2015:648, point 27 et jurisprudence citée).

33      Il convient, par conséquent, de déterminer si une situation telle que celle en cause au principal, dans laquelle le bien d’un tiers est confisqué au profit de l’État membre concerné au motif que celui-ci a été utilisé dans le cadre d’une infraction pénale, relève du champ d’application du droit de l’Union.

34      En l’occurrence, dans sa demande de décision préjudicielle, la juridiction de renvoi fait référence à la directive 2014/42, laquelle impose des obligations aux États membres en vue, ainsi que le précise son considérant 41, de faciliter la confiscation des biens en matière pénale.

35      Toutefois, l’infraction de contrebande, en cause au principal, ne figure pas au nombre de celles auxquelles s’applique cette directive en vertu de son article 3, de sorte que l’objet de la procédure nationale en cause au principal échappe au champ d’application matériel de ladite directive.

36      À cet égard, il convient d’indiquer que la directive 2014/42 a partiellement remplacé la décision-cadre 2005/212, laquelle porte, tout comme cette directive, sur la confiscation des instruments et des produits du crime. En effet, conformément au considérant 9 de ladite directive, celle-ci vise à modifier et à étendre les dispositions notamment de cette décision-cadre.

37      Plus précisément, il ressort de l’article 14, paragraphe 1, de la directive 2014/42 que celle-ci a remplacé uniquement les quatre premiers tirets de l’article 1er ainsi que l’article 3 de la décision-cadre 2005/212 pour les États membres que cette directive lie, ce qui a eu pour conséquence que les articles 2, 4 et 5 de cette décision-cadre ont été maintenus en vigueur après l’adoption de ladite directive (voir, en ce sens, arrêt du 19 mars 2020, « Agro In 2001 », C‑234/18, EU:C:2020:221, point 48).

38      À cet égard, il y a lieu de relever que la décision-cadre 2005/212 prévoit, à son article 2, paragraphe 1, en des termes plus généraux que ceux figurant dans la directive 2014/42, que « [c]haque État membre prend les mesures nécessaires pour permettre la confiscation de tout ou partie des instruments et des produits provenant d’infractions pénales passibles d’une peine privative de liberté d’une durée supérieure à un an, ou de biens dont la valeur correspond à ces produits ».

39      En l’occurrence, l’infraction de contrebande qualifiée en cause au principal est passible d’une peine privative de liberté de trois à dix ans, à laquelle s’ajoute la possibilité de saisir le moyen de transport utilisé pour transporter la marchandise, objet de la contrebande, conformément à l’article 242, paragraphe 8, du NK.

40      Il s’ensuit que les dispositions de la décision-cadre 2005/212 font nécessairement partie des éléments de droit de l’Union qui, eu égard à l’objet du litige au principal et aux indications fournies par la juridiction de renvoi, doivent être pris en considération par la Cour afin que cette dernière réponde, de façon utile, aux questions qui lui sont posées. Ainsi, la situation juridique au principal relève du champ d’application du droit de l’Union et, en particulier, de cette décision-cadre.

41      Par ailleurs, cette dernière prévoit des règles relatives à la confiscation « des instruments et des produits provenant d’infractions pénales » et aux voies de recours dont doivent disposer les personnes affectées par une mesure de confiscation, respectivement à ses articles 2 et 4. Il s’ensuit que, par ses questions, qui portent sur la légalité de la confiscation des biens appartenant à un tiers de bonne foi ainsi que sur les voies de recours devant être ouvertes à un tiers affecté par une mesure de confiscation, la juridiction de renvoi cherche, en réalité, à obtenir une interprétation de ces dispositions de la décision-cadre 2005/212, lues à la lumière des articles 17 et 47 de la Charte.

42      Partant, la Cour est compétente pour répondre à la demande de décision préjudicielle.

 Sur la première question

43      Par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 2, paragraphe 1, de la décision-cadre 2005/212, lu à la lumière de l’article 17, paragraphe 1, de la Charte, doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation nationale qui permet la confiscation d’un instrument utilisé pour commettre une infraction de contrebande qualifiée, lorsque celui-ci appartient à un tiers de bonne foi.

44      À cet égard, il y a lieu, tout d’abord, de relever que la notion de « confiscation » est définie à l’article 1er, quatrième tiret, de la décision-cadre 2005/212.

45      Toutefois, ainsi qu’il ressort du point 37 du présent arrêt, le quatrième tiret de cet article 1er a été remplacé par la directive 2014/42 pour les États membres que cette directive lie.

46      Or, en l’occurrence, dès lors que les faits au principal sont postérieurs au délai de transposition de la directive 2014/42, fixé au 4 octobre 2016 conformément à l’article 12, paragraphe 1, de celle-ci, il convient, dans une affaire telle que celle au principal, de se référer à ladite directive aux fins de la définition de la notion de « confiscation ».

47      Aux termes de l’article 2, point 4, de cette directive, cette notion de « confiscation » est définie comme étant la « privation permanente d’un bien ordonnée par une juridiction en lien avec une infraction pénale ».

48      Il résulte du libellé de cette disposition que, dans ce cadre, il importe peu que la confiscation constitue ou non une peine en droit pénal. Ainsi, une mesure, telle que celle en cause au principal, qui donne lieu à une privation permanente du bien saisi, ordonnée par une juridiction en lien avec une infraction pénale, relève de ladite notion de « confiscation ».

49      Ensuite, l’article 2, paragraphe 1, de la décision-cadre 2005/212 prévoit que chaque État membre prend les mesures nécessaires pour permettre la confiscation de tout ou partie des instruments et des produits provenant d’infractions pénales passibles d’une peine privative de liberté d’une durée supérieure à un an, ou de biens dont la valeur correspond à ces produits.

50      À cet égard, il est vrai que cette disposition ne désigne pas explicitement la personne dont les biens peuvent faire l’objet d’une mesure de confiscation. Elle se réfère seulement aux « instruments » qui sont liés à une infraction pénale, sans qu’il importe de déterminer qui les détient ou en est le propriétaire.

51      Toutefois, l’article 2, paragraphe 1, de la décision-cadre 2005/212 doit être lu à la lumière du considérant 3 de cette décision-cadre, dont il ressort qu’il y a lieu de tenir compte des droits des tiers de bonne foi. Il s’ensuit que, en principe, les dispositions de ladite décision-cadre s’appliquent également à la confiscation des biens appartenant à des tiers, tout en exigeant, notamment, que les droits de ces derniers soient protégés lorsqu’ils sont de bonne foi.

52      Dans ce contexte, il convient de tenir compte de l’article 17, paragraphe 1, de la Charte, qui prévoit, notamment, que toute personne a le droit de jouir de la propriété des biens qu’elle a acquis légalement, de les utiliser et d’en disposer.

53      Certes, le droit de propriété garanti par cette disposition ne constitue pas une prérogative absolue. En effet, conformément à l’article 52, paragraphe 1, de la Charte, des limitations peuvent être apportées à l’exercice des droits et des libertés consacrés par celle-ci, à la condition que ces limitations répondent effectivement à des objectifs d’intérêt général poursuivis par l’Union et ne constituent pas, au regard du but poursuivi, une intervention démesurée et intolérable qui porterait atteinte à la substance même du droit ainsi garanti (voir, en ce sens, arrêt du 16 juillet 2020, Adusbef et Federconsumatori, C‑686/18, EU:C:2020:567, point 85 ainsi que jurisprudence citée).

54      En l’occurrence, le parquet d’appel de Plovdiv, dans ses observations écrites, a indiqué que le but poursuivi par la réglementation nationale en cause au principal consiste à empêcher, dans l’intérêt général, l’importation illicite de marchandises dans le pays.

55      Or, compte tenu de l’atteinte sensible aux droits des personnes qu’entraîne la confiscation d’un bien, à savoir la dépossession définitive du droit de propriété sur celui-ci, il y a lieu de relever que, s’agissant d’un tiers de bonne foi, qui ne savait pas et ne pouvait pas savoir que son bien a été utilisé pour commettre une infraction, une telle confiscation constitue, au regard du but poursuivi, une intervention démesurée et intolérable qui porte atteinte à la substance même du droit de propriété de celui-ci.

56      Dès lors, force est de constater qu’une réglementation nationale, telle que celle en cause au principal, ne respecte pas le droit de propriété garanti à l’article 17, paragraphe 1, de la Charte, en ce qu’elle prévoit que les biens d’un tiers de bonne foi utilisés pour la commission d’une infraction de contrebande qualifiée peuvent faire l’objet d’une mesure de confiscation.

57      Dans ces conditions, il convient de considérer que, dans le cadre de l’article 2, paragraphe 1, de la décision-cadre 2005/212, la confiscation ne saurait s’étendre aux biens des tiers de bonne foi.

58      Eu égard aux considérations qui précèdent, il convient de répondre à la première question que l’article 2, paragraphe 1, de la décision-cadre 2005/212, lu à la lumière de l’article 17, paragraphe 1, de la Charte, doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation nationale qui permet la confiscation d’un instrument utilisé pour commettre une infraction de contrebande qualifiée, lorsque celui-ci appartient à un tiers de bonne foi.

 Sur la seconde question

59      Par sa seconde question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 4 de la décision-cadre 2005/212, lu à la lumière de l’article 47 de la Charte, doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation nationale qui permet la confiscation, dans le cadre d’une procédure pénale, d’un bien appartenant à une personne autre que celle qui a commis l’infraction pénale, sans que cette première personne dispose d’une voie de recours effective.

60      Il convient de relever que l’article 4 de cette décision-cadre prévoit une obligation à la charge de chaque État membre de prendre les mesures nécessaires pour faire en sorte que les personnes affectées par les mesures prévues notamment à l’article 2 de ladite décision-cadre disposent de voies de recours effectives pour préserver leurs droits.

61      Eu égard au caractère général du libellé de l’article 4 de la décision-cadre 2005/212, les personnes auxquelles les États membres doivent garantir des voies de recours effectives sont non seulement celles reconnues coupables d’une infraction mais également toutes les autres personnes affectées par les mesures prévues à l’article 2 de cette décision-cadre, partant y compris les tiers.

62      À cet égard, il convient également de relever que, aux termes de l’article 47, premier et deuxième alinéas, de la Charte, toute personne dont les droits et les libertés garantis par le droit de l’Union ont été violés a droit à un recours effectif devant un tribunal dans le respect des conditions prévues à cet article et notamment à ce que sa cause soit entendue équitablement.

63      En particulier, le droit à un recours effectif signifie qu’un tiers dont un bien fait l’objet d’une mesure de confiscation doit pouvoir contester la légalité de cette mesure afin de récupérer ce bien lorsque la confiscation n’est pas justifiée.

64      En l’occurrence, la juridiction de renvoi a souligné dans sa décision de renvoi qu’un tiers dont les biens ont fait l’objet d’une mesure de confiscation ne dispose pas d’un accès direct à la justice en vertu de la réglementation nationale, de sorte qu’il n’est pas en mesure de valablement faire valoir ses droits.

65      Dans ces conditions, il y a lieu de constater que, dans une affaire telle que celle au principal, un tiers dont le bien est confisqué est privé du droit à un recours effectif.

66      Par ailleurs, pour le motif exposé au point 63 du présent arrêt, ce constat ne saurait être infirmé par l’argument invoqué par le parquet d’appel de Plovdiv, selon lequel, dans une situation, telle que celle en cause au principal, la Zakon za zadalzheniata i dogovorite (loi relative aux obligations et aux contrats) permet au propriétaire du bien confisqué de se retourner contre la personne condamnée pour les préjudices résultant de cette confiscation.

67      De surcroît, la Cour européenne des droits de l’homme a jugé, en substance, que, dans une situation où l’État est à l’origine de la confiscation et où la réglementation et la pratique nationales ne prévoient pas une procédure par laquelle le propriétaire peut défendre ses droits, cet État ne peut s’acquitter de l’obligation, résultant pour lui de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, de mettre en place une telle procédure en demandant à une personne qui n’a pas été jugée pour l’infraction pénale ayant abouti à la confiscation de chercher à récupérer son bien auprès d’un tiers (Cour EDH, 13 octobre 2015, Ünsped Paket Servisi SaN. Ve TiC. A. Ș. c. Bulgarie, CE:ECHR:2015:1013JUD000350308, § 32).

68      Eu égard aux considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la seconde question que l’article 4 de la décision-cadre 2005/212, lu à la lumière de l’article 47 de la Charte, doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation nationale qui permet la confiscation, dans le cadre d’une procédure pénale, d’un bien appartenant à une personne autre que celle qui a commis l’infraction pénale, sans que cette première personne dispose d’une voie de recours effective.

 Sur les dépens

69      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (première chambre) dit pour droit :

1)      L’article 2, paragraphe 1, de la décision-cadre 2005/212/JAI du Conseil, du 24 février 2005, relative à la confiscation des produits, des instruments et des biens en rapport avec le crime, lu à la lumière de l’article 17, paragraphe 1, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation nationale qui permet la confiscation d’un instrument utilisé pour commettre une infraction de contrebande qualifiée, lorsque celui-ci appartient à un tiers de bonne foi.

2)      L’article 4 de la décision-cadre 2005/212, lu à la lumière de l’article 47 de la charte des droits fondamentaux, doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation nationale qui permet la confiscation, dans le cadre d’une procédure pénale, d’un bien appartenant à une personne autre que celle qui a commis l’infraction pénale, sans que cette première personne dispose d’une voie de recours effective.