DIESELGATE Question préjudicielle posée dans le cadre de l'instruction ouverte au TJ de PARIS

COMMUNIQUE DE PRESSE n° 52/20  Conclusions de l'avocate générale dans l'affaire C-693/18 CLCV e.a. (dispositif d’invalidation sur moteur diesel) 

Selon l’avocate générale Sharpston, un dispositif qui influe à la hausse, lors des tests d’homologation des véhicules à moteur diesel, sur le fonctionnement du système de contrôle des émissions de ces véhicules constitue un « dispositif d’invalidation » prohibé par le droit de l’Union 

L’objectif de ralentissement du vieillissement ou de l’encrassement du moteur ne justifie pas le recours à un tel dispositif 

La société X est un constructeur automobile qui commercialise des véhicules à moteur en France. Cette société aurait mis sur le marché des véhicules équipés d’un logiciel susceptible de fausser les résultats des tests d’homologation relatifs aux émissions de gaz polluants, tels que les oxydes d’azote (ci-après les « NOx »). 

À la suite de révélations dans la presse, le parquet de Paris (France) a diligenté une enquête, qui a donné lieu à l’ouverture d’une information judiciaire à l’égard de la société X. L’infraction alléguée consisterait à avoir trompé les acquéreurs de véhicules équipés de moteur diesel sur les qualités substantielles de ceux-ci et sur les contrôles effectués avant leur mise sur le marché. 

Les véhicules mis en cause étaient équipés d’une vanne de recirculation des gaz d’échappement (RGE). La vanne RGE est l’une des technologies utilisées par les constructeurs automobiles afin de contrôler et de réduire les émissions finales de NOx. Il s’agit d’un système qui consiste à rediriger une partie des gaz d’échappement du moteur vers l’admission, c’est-à-dire l’entrée d’air fourni au moteur, en vue de réduire les émissions finales de NOx. 

Avant d’être mis sur le marché, ces véhicules ont fait l’objet de tests d’homologation réalisés dans un laboratoire, suivant un cycle (le New European Driving Cycle) prédéfini en fonction de différents paramètres techniques (température, vitesse, etc.). Ces tests ont notamment pour but de vérifier le niveau des émissions de NOx et le respect des limites fixées par le règlement (CE) n° 715/2007 1 à cet égard. Les émissions des véhicules mis en cause n’avaient donc pas été analysées dans des conditions de conduite réelles. 

Une expertise technique réalisée dans le cadre de la procédure d’information judiciaire a conclu à l’existence, dans les véhicules mis en cause, d’un dispositif permettant de détecter les phases des tests d’homologation et d’adapter en conséquence le fonctionnement du système RGE, de façon à respecter le plafond réglementaire en matière d’émissions. À l’inverse, dans des conditions autres que celles des tests d’homologation, à savoir lorsque les véhicules circulent en situation normale, ce dispositif entraîne une désactivation (partielle) du système RGE et – en conséquence – une augmentation des émissions de NOx. L’expert a précisé que si le fonctionnement du système RGE en circulation réelle avait été conforme à celui qui prévalait lors de ces tests d’homologation, ces véhicules auraient produit jusqu’à 50 % de NOx en moins. Les opérations de maintenance de ces véhicules auraient cependant été plus fréquentes et plus coûteuses en raison, notamment, d’un encrassement plus rapide du moteur. 

Le vice-président chargé de l’instruction du tribunal de grande instance [tribunal judiciaire] de Paris (France) éprouve des doutes quant à la conformité des véhicules visés aux exigences du règlement n° 715/2007 et, en particulier, quant à la licéité du dispositif évoqué ci-dessus. 

En effet, le règlement interdit expressément l’utilisation des dispositifs d’invalidation qui réduisent l’efficacité des systèmes de contrôle des émissions dans des conditions d’utilisation normales. 

Le juge national a décidé de saisir la Cour de justice en vue d’obtenir des clarifications, notamment quant à la définition et à la portée des concepts de « système de contrôle des émissions » et de « dispositif d’invalidation ». 

Dans ses conclusions présentées ce jour, l’avocate générale Eleanor Sharpston rappelle d’emblée que le concept de « dispositif d’invalidation » visé à l’article 3, point 10, du règlement n° 715/2007 désigne tout élément de conception « qui détecte la température, la vitesse du véhicule, le régime du moteur en tours/minute, la transmission, une dépression ou tout autre paramètre aux fins d’activer, de moduler, de retarder ou de désactiver le fonctionnement de toute partie du système de contrôle des émissions, qui réduit l’efficacité du système de contrôle des émissions dans des conditions dont on peut raisonnablement attendre qu’elles se produisent lors du fonctionnement et de l’utilisation normaux des véhicules ». 

L’avocate générale examine la notion de « système de contrôle des émissions » afin de déterminer si celle-ci recouvre exclusivement les technologies et les stratégies qui réduisent les émissions en aval (après leur formation) ou si, au contraire, elle englobe aussi les technologies et stratégies qui, à l’instar du système RGE, réduisent les émissions en amont (lors de leur formation). La société X avait plaidé pour une interprétation restrictive, limitant la portée de cette notion aux technologies et aux stratégies opérant uniquement en aval. 

À l’issue de son analyse des dispositions du règlement n° 715/2007 et notamment à la lumière des objectifs de protection de l’environnement et d’amélioration de la qualité de l’air au sein de l’Union, l’avocate générale conclut que la notion de « système de contrôle des émissions » inclut tant les technologies, les stratégies et les pièces mécaniques ou informatiques qui permettent de réduire les émissions (en ce compris de NOx) en amont, à l’instar du système RGE, que celles qui permettent de les traiter et de les réduire en aval, après leur formation

Quant à la notion de « dispositif d’invalidation », l’avocate générale considère qu’un dispositif qui détecte tout paramètre lié au déroulement des procédures d’homologation, afin d’activer ou moduler à la hausse, lors de ces procédures, le fonctionnement de toute partie du système de contrôle des émissions, et ainsi d’obtenir l’homologation du véhicule, est un « dispositif d’invalidation », même si la modulation à la hausse du fonctionnement de ce système de contrôle des émissions peut aussi se produire de façon ponctuelle, lorsque les conditions exactes qui la déclenchent se présentent par hasard dans des conditions d’utilisation normales du véhicule. 

Enfin, l’avocate générale constate qu’en vertu du règlement n° 715/2007, l’utilisation de dispositifs d’invalidation qui réduisent l’efficacité des systèmes de contrôle des émissions est interdite, mais peut être autorisée à titre exceptionnel, notamment lorsque « le besoin du dispositif se justifie en termes de protection du moteur contre des dégâts ou un accident et pour le fonctionnement en toute sécurité du véhicule ». 

Elle rappelle toutefois que cette exception doit faire l’objet d’une interprétation stricte. 

À cet égard, selon l’avocate générale, cette exception ne vise que la protection du moteur contre la survenue de dommages immédiats et soudains (et non contre des effets à plus long terme tels que l’usure ou la perte de valeur patrimoniale). 

Elle note que, selon le règlement n° 715/2007, il incombe aux constructeurs automobiles de veiller à ce que les véhicules observent les limites réglementaires en matière d’émissions, tout au long de leur fonctionnement normal. Cela implique que ces véhicules se doivent de fonctionner de façon sûre, tout en respectant ces limites. Si l’on ne peut exclure que le fonctionnement d’un système de 

contrôle des émissions puisse influencer négativement (à long terme) la longévité ou la fiabilité du moteur, cette circonstance ne justifie en rien que l’on désactive ce système lors du fonctionnement normal du véhicule, dans des conditions d’utilisation normales, dans le seul but de prémunir le moteur contre son vieillissement ou contre son encrassement progressif – sous peine de priver la réglementation de son effet utile. 

L’avocate générale considère donc que seuls les risques immédiats de dégâts qui affectent la fiabilité du moteur et qui génèrent un danger concret lors de la conduite du véhicule sont de nature à justifier la présence d’un dispositif d’invalidation

L’avocate générale Sharpston estime ainsi que l’objectif de ralentissement du vieillissement ou de l’encrassement du moteur ne justifie pas le recours à un dispositif d’invalidation

Elle précise qu’il appartiendra au juge national d’établir si le dispositif mis en cause s’inscrit dans le périmètre de cette exception. 

L’avocate générale observe toutefois que, d’après l’expert désigné par le juge national, le système RGE « n’est pas destructeur pour le moteur » mais est susceptible de dégrader les performances du moteur à l’usage et d’accélérer son encrassement, rendant ainsi les opérations de maintenance « plus fréquentes et plus coûteuses ». À la lumière de ce constat consigné dans le rapport d’expertise, l’avocate générale estime que le dispositif d’invalidation mis en cause ne semble pas nécessaire aux fins de protéger le moteur contre des accidents ou des dégâts et afin d’assurer le fonctionnement du véhicule en toute sécurité

1 Règlement du Parlement européen et du Conseil du 20 juin 2007 relatif à la réception des véhicules à moteur au regard des émissions des véhicules particuliers et utilitaires légers (Euro 5 et Euro 6) et aux informations sur la réparation et l’entretien des véhicules (JO 2007, L 171, p. 1). 

RAPPEL : Les conclusions de l'avocate générale ne lient pas la Cour de justice. La mission des avocats généraux consiste à proposer à la Cour, en toute indépendance, une solution juridique dans l'affaire dont ils sont chargés. Les juges de la Cour commencent, à présent, à délibérer dans cette affaire. L'arrêt sera rendu à une date ultérieure. 

RAPPEL : Le renvoi préjudiciel permet aux juridictions des États membres, dans le cadre d'un litige dont elles sont saisies, d'interroger la Cour sur l'interprétation du droit de l’Union ou sur la validité d'un acte de l’Union. La Cour ne tranche pas le litige national. Il appartient à la juridiction nationale de résoudre l'affaire conformément à la décision de la Cour. Cette décision lie, de la même manière, les autres juridictions nationales qui seraient saisies d’un problème similaire. 

Document non officiel à l’usage des médias, qui n’engage pas la Cour de justice. Le texte intégral des conclusions est publié sur le site CURIA le jour de la lecture. Contact presse : Antoine Briand((+352) 4303 3205.