Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 22 et 26 octobre 2020, la Fédération musulmane de Pantin, représentée par Me Bourdon et Me Brengarth, demande au juge des référés, sur le fondement des dispositions de l’article L. 521-2 du code de justice administrative :

1°) de suspendre l’exécution de l’arrêté n° 2020-2459 du 19 octobre 2020 par lequel le préfet de la Seine-Saint-Denis a prononcé, pour une durée de six mois, la fermeture du lieu de culte « Grande mosquée de Pantin », situé 48 rue Racine à Pantin ;

2°) de mettre à la charge de l’État la somme de 2 000 euros à verser à la Fédération requérante sur le fondement de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ainsi que les entiers dépens.

Elle soutient que :

Sur la condition d’urgence :

- cette condition est remplie dès lors que l’urgence est présumée eu égard à la nature de la décision en cause, que le lieu de culte sera fermé pour six mois et que l’arrêté litigieux se dispense lui-même de la mise en œuvre d’une procédure contradictoire pour un motif tiré de l’urgence.

N° 2011260 2

Sur l’atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale :

- l’arrêté porte une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté dassociation de la Fédération requérante et des fidèles du lieu de culte dès lors que le lien avec une entreprise terroriste et l’existence d’infractions ne sont pas établis ;

- cet arrêté porte une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté de culte et de religion, dès lors qu’il ne prévoit pas de nouvelles modalités d’exercice alors qu’il aura pour effet de ne plus permettre aux fidèles de se rendre dans un lieu de culte, dont le nombre est insuffisant dans le département, plus particulièrement encore dans le contexte sanitaire actuel ;

- cet arrêté porte une atteinte grave et manifestement illégale au droit de propriété, dès lors que l’arrêté ordonne la fermeture du lieu de culte de manière unilatérale, sans justification fondée ni dédommagement ;

cet arrêté porte une atteinte grave et manifestement illégale au principe d’égalité dès lors que ce lieu de culte, qui pourtant prône un dialogue des cultures et des cultes, a seul fait l’objet d’une telle mesure de fermeture.

Par un mémoire en défense, enregistré le 24 octobre 2020, le préfet de la Seine-Saint-Denis conclut au rejet de la requête. Il soutient que les conditions de l’article L. 521-2 du code de justice administrative ne sont pas réunies.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :
- la Constitution, notamment son Préambule ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l
’homme et des libertés fondamentales et son premier protocole additionnel ;

  • -  la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne ;

  • -  la loi n° 2017-1510 du 30 octobre 2017 ;

  • -  le code de la sécurité intérieure ;

  • -  la décision n° 2017-695 QPC du 29 mars 2018 du Conseil constitutionnel ;

  • -  le code de justice administrative.

    Le président du tribunal a décidé que la nature de l’affaire justifiait qu’elle soit jugée, en application du troisième alinéa de l’article L. 511-2 du code de justice administrative, par une formation composée de trois juges des référés.

    Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.
    Ont été entendus au cours de l’audience publique, tenue le 26 octobre 2020 à 15 heures :

    - le rapport de Mme B, juge des référés,

    - les observations de Me Bourdon et de Me Brengarth, pour la Fédération musulmane de Pantin, qui reprennent leurs écritures en relevant : - que les éléments repris par l’arrêté sont constitués d’une succession de faits anciens ou non établis ; - que M. D est un homme de dialogue, représentatif de l’islam de France, non radicalisé et condamnant le terrorisme, et qu’il regrette la diffusion de la publication qu’on lui reproche, qu’il a retirée dès le 16 octobre 2020 ;

    -que cette dernière doit être replacée dans le temps par rapport à l’attentat et contextualisée au regard de l’émoi suscité dans la communauté musulmane par le cours du professeur ; - que M. E, dont il ne connaît pas la vie privée, est un des imams de la mosquée qui officie depuis plusieurs années sans que les autorités ne le reprochent, que la mosquée ne cautionne pas le site internet de cet imam et, enfin et en tout état de cause, que ce dernier a décidé de se retirer ainsi qu’en atteste un article édité par Le Figaro et produit aux débats ; - que des mosquées salafistes continuent de fonctionner à l’heure actuelle,

- les observations du préfet de la Seine-Saint-Denis, et de Mme F, adjointe au directeur des libertés publiques et des affaires juridiques du ministère de l’intérieur, dûment mandatée par le représentant de l’Etat. Ils relèvent : - que la fermeture permet seule d’éviter une réitération de la diffusion de propos et d’idées traduisant une radicalisation, qui peut d’ailleurs prendre de très nombreuses formes et n’être réellement appréhendée qu’à travers un faisceau d’indices ; - que le motif erroné en fait peut être neutralisé, étant toutefois relevé que les propos, tenus par un tiers, n’ont pas été démentis par M. D ; - que ce dernier, qui n’est pas partie prenante au dialogue engagé entre les autorités du département et les responsables de la communauté musulmane, est responsable éditorial du site Facebook de la mosquée, qui compte 98 000 abonnés, et qu’il a fait le choix de diffuser cette vidéo, dans cette mosquée précisément, et sans tenir compte de la polémique qu’elle engendrait ; - que M. E, qui est un imam permanent, conduit la prière du vendredi et est en mesure de fixer sa ligne éditoriale ; - que la mosquée a seule fait l’objet d’une mesure de fermeture administrative, sur les 130 que compte le département, et que son financement fait lui-même l’objet d’une enquête engagée dès le mois d’octobre 2019 ; - que les lieux de cultes ouverts sont suffisants pour assurer la liberté du culte ; - que la mesure est en outre temporaire et qu’il pourrait être envisagé d’en réduire sa durée si des garanties sur un changement de ligne éditoriale étaient fournies,

- les observations de M. D, entendu à la demande du président sur les garanties qu’il pourrait apporter. Il relève ne pas être radicalisé et que la mosquée compte cinq à six jeunes imams, non radicalisés, qui portent également la prière du vendredi,

- la parole est donnée en dernier lieu au défendeur qui relève une nouvelle fois qu’il existe deux autres mosquées à Pantin.

La clôture de l’instruction a été prononcée à l’issue de l’audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. Par un arrêté n° 2020-2459 du 19 octobre 2020, le préfet de la Seine-Saint-Denis a prononcé la fermeture du lieu de culte « Grande mosquée de Pantin » située 48 rue Racine à Pantin, sur le fondement des dispositions de l’article L. 227-1 du code de la sécurité intérieure, pour une durée de six mois. La Fédération musulmane de Pantin demande au juge des référés, sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice administrative, de suspendre l’exécution de cet arrêté.

Sur le cadre juridique du litige :

2. Aux termes de l’article L. 227-1 du code de la sécurité intérieure : « Aux seules fins de prévenir la commission d'actes de terrorisme, le représentant de l'Etat dans le département ou, à Paris, le préfet de police peut prononcer la fermeture des lieux de culte dans lesquels les propos qui sont tenus, les idées ou théories qui sont diffusées ou les activités qui se déroulent provoquent à la violence, à la haine ou à la discrimination, provoquent à la commission d'actes de terrorisme ou font l'apologie de tels actes. Cette fermeture, dont la durée doit être proportionnée aux circonstances qui l'ont motivée et qui ne peut excéder six mois, est prononcée par arrêté motivé et précédée d'une procédure contradictoire dans les conditions prévues au chapitre II du titre II du livre Ier du code des relations entre le public et l'administration. L'arrêté de fermeture est assorti d'un délai d'exécution qui ne peut être inférieur à quarante-huit heures, à l'expiration duquel la mesure peut faire l'objet d'une exécution d'office. Toutefois, si une personne y ayant un intérêt a saisi le tribunal administratif, dans ce délai, d'une demande présentée sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, la mesure ne peut être exécutée d'office avant que le juge des référés ait informé les parties de la tenue ou non d'une audience publique en application du deuxième alinéa de l'article L. 522-1 du même code ou, si les parties ont été informées d'une telle audience, avant que le jugeait statué sur la demande ».

3. L’article L. 227-1 du code de la sécurité intérieure autorise le préfet, aux fins de prévenir la commission d’actes de terrorisme, à fermer provisoirement des lieux de culte sous certaines conditions. Il résulte de ces dispositions législatives ainsi que de l’interprétation que le Conseil constitutionnel en a donnée dans sa décision n° 2017-695 QPC du 29 mars 2018, que la mesure de fermeture d'un lieu de culte ne peut être prononcée qu'aux fins de prévenir la commission d'actes de terrorisme et que les propos tenus en ce lieu, les idées ou théories qui y sont diffusées ou les activités qui s'y déroulent doivent soit constituer une provocation à la violence, à la haine ou à la discrimination en lien avec le risque de commission d'actes de terrorisme, soit provoquer à la commission d'actes de terrorisme ou en faire l'apologie.

Sur la demande en référé :

4. Aux termes de l’article L. 521-2 du code de justice administrative : « Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures ». Selon l’article L. 522-1 du même code : « Le juge des référés statue au terme d'une procédure contradictoire écrite ou orale. Lorsqu'il lui est demandé de prononcer les mesures visées aux articles L. 521-1 et L. 521-2, de les modifier ou d'y mettre fin, il informe sans délai les parties de la date et de l'heure de l'audience publique (...». Il appartient au juge des référés, lorsqu’il est saisi sur le fondement de l’article L. 521-2 et qu’il constate une atteinte grave et manifestement illégale portée par une personne morale de droit public à une liberté fondamentale, résultant de l’action ou de la carence de cette personne publique, de prescrire les mesures qui sont de nature à faire disparaître les effets de cette atteinte, dès lors qu’existe une situation d’urgence caractérisée justifiant le prononcé de mesures de sauvegarde à très bref délai et qu’il est possible de prendre utilement de telles mesures. Celles-ci doivent, en principe, présenter un caractère provisoire, sauf lorsque aucune mesure de cette nature n’est susceptible de sauvegarder l’exercice effectif de la liberté fondamentale à laquelle il est porté atteinte.

5. Pour l’application de l’article L. 521-2 du code de justice administrative, la liberté du culte, qui présente le caractère d’une liberté fondamentale, ne se limite pas au droit de tout individu d’exprimer les convictions religieuses de son choix dans le respect de l’ordre public. Elle comporte également, parmi ses composantes essentielles, le droit de participer collectivement, sous la même réserve, à des cérémonies, en particulier dans les lieux de culte. Elle emporte également la libre disposition des biens nécessaires à l’exercice du culte, sous les réserves du respect de l’ordre public et un arrêté prescrivant la fermeture d’un lieu de culte, qui affecte l’exercice du droit de propriété, est également susceptible de porter atteinte à cette liberté fondamentale. En revanche, cet arrêté de fermeture administrative d’un lieu de culte ne peut être regardé comme portant atteinte à la liberté d’association des fidèles, qui peuvent se réunir dans d’autres lieux, ni à celle de la Fédération musulmane de Pantin, eu égard à son objet social et dès lors qu’il n’est pas porté atteinte à ses modalités de constitution et d’exercice. La méconnaissance alléguée du principe d’égalité résultant de ce que d’autres lieux de culte ne seraient pas menacés par un arrêté de fermeture, n’est, en tout état de cause, pas non plus constitutive d’une atteinte à une liberté fondamentale dès lors que l’arrêté de fermeture n’est pas motivé par le rite pratiqué mais uniquement par la nature des propos tenus et qu’une mesure de police n’est pas illégale au seul motif que d’autres du même type auraient dû être prises.

6. Il appartient au juge des référés de s’assurer, en l’état de l’instruction devant lui, qu’en prescrivant la fermeture d’un lieu de culte sur le fondement de l’article L. 227-1 du code de la sécurité intérieure, l’autorité administrative, opérant la conciliation nécessaire entre le respect des libertés et la sauvegarde de l’ordre public, n’a pas porté d’atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale, que ce soit dans son appréciation de la menace que constitue le lieu de culte ou dans la détermination des modalités de la fermeture.

7. Par un arrêté du 19 octobre 2020 le préfet de la Seine-Saint-Denis a, sur le fondement des dispositions de l’article L. 227-1 du code de la sécurité intérieure mentionné au point 2 de la présente ordonnance, prononcé la fermeture du lieu de culte « Grande mosquée de Pantin », également appelée du Gymnase ou encore Islah, située 48 rue Racine à Pantin, pour une durée de six mois. En substance, cet arrêté est motivé, en premier lieu, par le rôle joué par M. D, président de l’association gestionnaire de ce lieu de culte et également secrétaire général de l’Union des associations musulmanes de la Seine-Saint-Denis (UAM93), d’une part en faisant état des propos qu’il a tenus en 2018 et en mentionnant son adhésion temporaire, au début des années 2000, au Collectif des musulmans de France, alors représenté par l’islamologue G. Il relève, d’autre part, le choix de l’intéressé de relayer le 9 octobre 2020 sur le compte Facebook de la Grande mosquée notamment une vidéo d’un parent d’élève publiée à la suite du cours dispensé le 5 octobre 2020 par M. Samuel Paty professeur d’histoire au collège du Bois-d’Aulne à Conflans- Sainte-Honorine (Yvelines) portant sur l’attentat de Charlie Hebdo et s’appuyant sur des caricatures du prophète Mahomet. Il ajoute, de surcroît, qu’il n’a pas modéré ni supprimé un message d’un internaute indiquant les coordonnées de ce professeur avant l’acte terroriste dont ce dernier a fait l’objet le 16 octobre 2020. L’arrêté est fondé, en deuxième lieu, sur le rôle d’un imam de cette mosquée, M. H, qui est impliqué dans la mouvance radicale d’Ile-de-France, ainsi que sur la fréquentation de la mosquée par des individus appartenant à cette même mouvance.

8. Aucune disposition législative ni aucun principe ne s’oppose à ce que des faits relatés par des notes blanches produites par l’administration, qui sont versées au débat contradictoire et ne sont pas sérieusement contestées, soient susceptibles d’être pris en considération par le juge administratif, alors même que les faits qu’elles relatent n’auraient pas donné lieu à des poursuites pénales ou ne seraient pas constitutifs d’infractions pénales.

9. Il résulte de l’instruction, et notamment de la note blanche et de ses annexes produites par le préfet, étayées et circonstanciées et soumises au contradictoire, que plusieurs vidéos et messages ont été postés sur les réseaux sociaux à l’encontre de M. Samuel Paty, professeur d’histoire au collège du Bois-d’Aulne à Conflans-Sainte-Honorine qui avait dispensé le 5 octobre 2020 un cours d’enseignement moral et civique dédié à la liberté d’expression et qui sera victime d’un attentat le 16 octobre 2020. Elles qualifient notamment l’enseignant de « voyou répondant à l’appel du Président de la République pour combattre l’islam et les musulmans » et demandent son éviction. Une de ces vidéos a été réalisée par le père d’une collégienne, dont la sœur, qui avait rejoint la zone irako-syrienne en 2014, est très proche des combattants djihadistes et de leur filière et est actuellement détenue en Syrie. Elle a été relayée le 9 octobre 2020 par M. D sur la page Facebook de la Grande mosquée de Pantin, qui regroupe 98 787 abonnés, pour des faits s’étant d’ailleurs déroulés dans un autre département. La résonnance de cette diffusion a de surcroît été accentuée par la position influente occupée par M. D tant au sein de la mosquée précitée, dont il préside l’association gestionnaire, qu’au sein UAM 93, à laquelle sont notamment affiliées vingt et une mosquées dont une dizaine proche de la mouvance salafiste. Les prises de position virulentes du président de cette association, M. I, à l’encontre de l’école publique ont d’ailleurs conduit les pouvoirs publics du département à ne plus inviter cetteassociation aux rencontres périodiques organisées avec les représentants du culte musulman.

10. M. D a certes exprimé ses regrets d’avoir relayé cette vidéo. Toutefois, il n’en demeure pas moins qu’il a fait preuve, en tout état de cause, d’une négligence incompréhensible, alors que sa position et ses fonctions, auraient dû le conduire à plus de retenue. S’il a indiqué que les propos en cause, dont le contenu polémique a été précédemment rappelé, n’engageaient que leur auteur, il lui appartenait cependant de vérifier la véracité des faits relatés, qui s’étaient au demeurant produits dans un autre département, et de nuancer voire même de supprimer de tels propos en anticipant ainsi la résonnance que de telles allégations, relayées par le biais de la page Facebook très suivie de la mosquée, étaient susceptibles d’engendrer sur les tenants d’un islam rigoriste. De même, il est tout aussi avéré qu’a été laissée sans réaction ni désaveu, la publication sur ce même compte Facebook, d’un message d’un internaute révélant, après avoir précisément visionné la vidéo précitée, l’identité de M. Samuel Paty ainsi que l’adresse de l’établissement scolaire au sein duquel celui-ci exerçait ses fonctions de professeur d’histoire et géographie, facilitant ainsi, par l’intermédiaire du réseau social de la mosquée demeuré sans contrôle, son identification par des individus potentiellement radicalisés et susceptibles de passer à l’acte, et d’ailleurs même invités à le faire par de nombreuses autres vidéos circulant alors sur les réseaux sociaux. Enfin, il est constant que la vidéo en cause n’a été retirée du compte Facebook de la mosquée que le 16 octobre 2020, postérieurement à la commission de l’assassinat de l’enseignant. De tels éléments, présents sur le compte Facebook de la mosquée, sans que les responsables de l’association gestionnaire ne procèdent à une quelconque modération ou suppression des propos et informations diffusés, constituent une provocation à la violence ou à la haine au sens de l’article L. 227-1 précité du code de la sécurité intérieure.

11. Cette diffusion s’inscrit, en outre dans un contexte d’entrisme de la mouvance radicale au sein de la Grande mosquée de Pantin. Il résulte en effet de l’instruction que M. E, un des imams de la mosquée de Pantin officiant à la prière du vendredi, est impliqué dans la mouvance islamiste radicale d’Ile-de-France. Les écritures et documents produits au dossier décrivent précisément son parcours, qui inclut des études au Yémen dans un institut fondamentaliste, et elles identifient les individus radicaux avec lesquels il est en contact. Ils précisent également les modalités selon lesquelles il diffuse une vision radicale de l’islam, par ses prêches, par ses fréquentations mais aussi par un site internet, « La voie droite », qui diffuse des fatwas salafistes de cheikhs saoudiens et du régime wahhabite, et dont des copies d’écran sont produites à l’instance. L’instruction révèle également la transposition de sa pratique radicale au sein de sa famille et relève qu’un de ses enfants était scolarisé dans une école clandestine gérée par l’association Apprendre et Comprendre, désormais fermée à la suite d’un contrôle administratif intervenu le 8 octobre 2020. Cette école accueillait plus de soixante enfants âgés entre 3 et 10 ans répartis en salles de classes et plusieurs niveaux, encadrés par trois femmes vêtues de larges jilbab noirs et porteuses de hijab et utilisant pour l’enseignement notamment un ouvrage intitulé « Apprendre le Tawhid aux enfants » pourtant interdit aux mineurs par un arrêté du ministre de l’intérieur du 5 juillet 2019 en raison des termes employés à l’encontre de personnes ne pratiquant pas l’islam.

12. L’instruction a également permis d’établir que la Grande mosquée de Pantin est fréquentée par des individus appartenant à la mouvance radicale islamiste d’Ile-de-France, y compris après le départ de plusieurs fidèles vers la zone irako-syrienne. Le préfet relève à cet égard que le président de la Conférence des imams de France et imam de la mosquée de Drancy a lui-même mis en garde le recteur de la mosquée de Pantin contre cette tendance et l’entrisme qui en résulte. Les éléments produits aux débats mentionnent plus particulièrement les noms et parcours de ces individus, et, notamment, celui de Mme J, dont la fratrie a été impliquée dans la mosquée de Lagny-sur-Marne, fermée administrativement le 1er décembre 2015 dans le cadre de l’état d’urgence et dont les associations gestionnaires ont été dissoutes par décret. Cette dernière, signalée au titre de sa radicalisation depuis 2018, anime un centre de loisirs pour enfants dans les locaux de la mosquée de Pantin et organise des salons destinés uniquement aux femmes musulmanes.

13. Par ailleurs, si la Fédération requérante soutient que l’arrêté attaqué ne permettrait plus aux fidèles de se rendre dans un lieu de culte, eu égard à l’insuffisance de ces derniers et au contexte sanitaire, il ressort toutefois des écritures en défense du préfet de la Seine-Saint-Denis, qui ne sont pas pertinemment contredites, que les 1 200 à 1 300 fidèles de la Grande mosquée de Pantin peuvent continuer à être accueillis, notamment, dans d’autres mosquées de Pantin ou dans les lieux de culte de communes avoisinantes (Drancy, Aubervilliers, Bobigny) ou bénéficiant de facilités d’accès en transport en commun. Outre leur proximité et leurs capacités d’accueil, ces lieux de culte sont également à même de généraliser la pratique consistant à tenir deux offices pour tenir compte de la crise sanitaire.

14. Enfin, des mesures correctrices, lorsqu’elles sont assorties de garanties suffisantes, sont de nature, comme l’a relevé le préfet de la Seine-Saint-Denis lors de l’audience de référé, susceptibles de fonder une demande d’abrogation de la mesure. Toutefois la Fédération requérante se borne à relever que M. E a annoncé, très récemment dans un journal national, avoir décidé de se mettre en retrait, sans donner des éléments sur la mise en œuvre de cette mesure ou d’autres mesures comme celles portant, en particulier, sur la désignation des personnes autorisées à intervenir dans la mosquée et les mesures de surveillance, tant du contenu des prêches que des personnes se rendant dans ce lieu. Dans ces conditions, la Fédération n’établit pas, à la date à laquelle le juge des référés statue, qu’elle serait en mesure d’éviter la réitération des graves dérives constatées dans un passé récent et la menace à l’ordre et la sécurité publics qui en était résultée.

15. Eu égard à l’ensemble des éléments recueillis au cours des échanges écrits et oraux et compte tenu de la diffusion de propos, idées ou théories et activités non dénués de liens avec le risque de commission d’actes de terrorisme ou de provocation à la commission de tels actes au sens de l’article L. 227-1 du code de la sécurité intérieure, et de la possibilité pour les fidèles de se rendre dans d’autres lieux de culte situés à proximité ou aisément accessibles, il n’apparaît pas, en l’état de l’instruction, que le préfet de la Seine-Saint-Denis aurait porté une atteinte grave et manifestement illégale aux libertés fondamentales invoquées au point5 en fermant provisoirement la mosquée, pour une durée de six mois, aux fins de prévenir la réitération de tels actes.

16. Par suite, il y a lieu, sans qu’il soit besoin de se prononcer sur l’existence de la condition d’urgence, de rejeter les conclusions de la Fédération musulmane de Pantin tendant à la suspension de l’exécution de l’arrêté du 19 octobre 2020 du préfet de la Seine-Saint-Denis ainsi que, par voie de conséquence, les conclusions présentées sur le fondement de l’article L. 761-1 du code de justice administrative, et en tout état de cause, celles présentées au titre de l’article R. 761-1 du même code.

O R D ON N E :

Article 1er : La requête de la Fédération musulmane de Pantin est rejetée.

Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à la Fédération musulmane de Pantin et au ministre de l’intérieur.

Copie en sera adressée au préfet de la Seine-Saint-Denis.

Délibéré à l’issue de la séance du 26 octobre 2020 où siégeaient : M. A, Mme B et M. C, juges des référés.

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Fait à Montreuil, le 27 octobre 2020.