CONSEIL D'ETAT 

statuant
au contentieux 

N° 439888 

__________ 

M. CAULET __________ 

Ordonnance du 4 avril 2020 

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE 

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS 

LE JUGE DES RÉFÉRÉS 

Vu la procédure suivante : 

Par une requête, enregistrée le 31 mars 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, M. Guillaume Caulet demande au juge des référés du Conseil d’Etat, statuant sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice administrative : 

1°) de suspendre l’exécution du décret n°2020-293 du 23 mars 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l’épidémie de covid-19 dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire, ou du moins de l’article 3 de ce décret ; 

2°) de suspendre l’exécution du décret n° 2020-357 du 28 mars 2020 relatif à la forfaitisation de la contravention de la 5ème classe réprimant la violation des mesures édictées en cas de menace sanitaire grave et de déclaration de l'état d'urgence sanitaire. 

Il soutient que : 

- l’adoption et la mise en œuvre du décret du 23 mars 2020 portent une atteinte grave, immédiate et difficilement réversible à la liberté de l’ensemble des citoyens français ; 

- en prévoyant une forfaitisation des contraventions de 5ème classe constatées en application du décret du 23 mars, le décret du 28 mars 2020 écarte le contrôle obligatoire de l’autorité judiciaire sur la constatation des contraventions de 5ème classe, alors même que ces infractions constituent le premier terme d’une récidive punie d’une peine d’emprisonnement ; 

- le Premier ministre n’est pas compétent pour définir, par un décret simple, des infractions dont la violation est susceptible, en cas de récidive, d’être punie de peine d’emprisonnement, c’est-à-dire des délits ; 

- le caractère imprécis des infractions énumérées à l’article 3 du décret du 23 mars 2020 est contraire au principe de légalité des délits et des peines ; 

- ces dispositions méconnaissent les principes de proportionnalité et de nécessité des délits et des peines ; 

- la forfaitisation de la contravention de 5ème classe qui résulte du décret du 28 mars 2020 est contraire à l’article 529 du code de procédure pénale ; 

- les mesures prescrites à l’article 3 du décret du 23 mars 2020 sont contraires au principe de stricte proportionnalité aux risques sanitaires encourus, énoncé à l’article L. 3131-15 du code de la santé publique ; 

- ces mesures portent une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté d’aller et venir, au droit au respect de la vie privée et au droit de mener une vie familiale normale ; 

Par un mémoire, enregistré le 31 mars 2020, présenté en application de l’article 23-5 de l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, M. Caulet demande au Conseil d’Etat, à l’appui de sa requête, de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions des 3° et 4° de l’article 2 de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020. 

Il soutient que ces dispositions, applicables au litige, qui portent atteinte au droit de mener une vie familiale normale, au droit à la sûreté et à la liberté d’aller et venir, méconnaissent le principe de légalité des délits et des peines et l’article 34 de la Constitution, ainsi que le principe de proportionnalité et de nécessité des délits et des peines. 

fondamentales ; 

Vu les autres pièces du dossier ; 

Vu :
- la Constitution ;
- l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés 

- le code pénal ;
- le code de procédure pénale ;
- le code de la santé publique ;
- la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 ;
- le décret n° 2020-293 du 23 mars 2020 ; - le décret n° 2020-357 du 28 mars 2020 ; - le code de justice administrative ; 

Considérant ce qui suit : 

1. Aux termes de l’article L. 521-2 du code de justice administrative : « Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures ». En vertu de l’article L. 522-3 du même code, le juge des référés peut rejeter une requête par une ordonnance motivée, sans instruction contradictoire ni audience publique, lorsque la condition d’urgence n’est pas remplie ou lorsqu’il apparaît manifeste, au vu de la demande, que celle-ci ne relève pas de la compétence de la juridiction administrative, qu’elle est irrecevable ou qu’elle est mal fondée. 

Sur les circonstances : 

2. L'émergence d'un nouveau coronavirus (covid-19), de caractère pathogène et particulièrement contagieux, et sa propagation sur le territoire français ont conduit le ministre des solidarités et de la santé à prendre, par plusieurs arrêtés à compter du 4 mars 2020, des mesures sur le fondement des dispositions de l’article L. 3131-1 du code de la santé publique. En particulier, par un arrêté du 14 mars 2020, un grand nombre d’établissements recevant du public ont été fermés au public, les rassemblements de plus de 100 personnes ont été interdits et l’accueil des enfants dans les établissements les recevant et les établissements scolaires et universitaires a été suspendu. Puis, par un décret du 16 mars 2020 motivé par les circonstances exceptionnelles découlant de l’épidémie de covid-19, modifié par décret du 19 mars, le Premier ministre a interdit le déplacement de toute personne hors de son domicile, sous réserve d’exceptions limitativement énumérées et devant être dûment justifiées, à compter du 17 mars à 12 h, sans préjudice de mesures plus strictes susceptibles d’être ordonnées par le représentant de l’Etat dans le département. Le ministre des solidarités et de la santé a pris des mesures complémentaires par des arrêtés des 17, 19, 20, 21 mars 2020. 

3. Par l'article 4 de la loi du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19, a été déclaré l'état d'urgence sanitaire pour une durée de deux mois sur l’ensemble du territoire national. Par un nouveau décret du 23 mars 2020 pris sur le fondement de l’article L. 3131-15 du code de la santé publique issu de la loi du 23 mars 2020, le Premier ministre a réitéré les mesures qu’il avait précédemment ordonnées tout en leur apportant des précisions ou restrictions complémentaires. Leurs effets ont été prolongés par décret du 27 mars 2020. 

Sur la demande en référé : 

4. Le 3° de l’article 2 de la loi du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19 a inséré au code de la santé publique un article L. 3131-12 aux termes duquel « L'état d'urgence sanitaire peut être déclaré sur tout ou partie du territoire métropolitain (...) en cas de catastrophe sanitaire mettant en péril, par sa nature et sa gravité, la santé de la population », ainsi qu’un article L. 3131-15 aux termes duquel « Dans les circonscriptions territoriales où l'état d'urgence sanitaire est déclaré, le Premier ministre peut, par décret réglementaire pris sur le rapport du ministre chargé de la santé, aux seules fins de garantir la santé publique : / 1° Restreindre ou interdire la circulation des personnes et des véhicules dans les lieux et aux heures fixés par décret ; / 2° Interdire aux personnes de sortir de leur domicile, sous réserve des déplacements strictement indispensables aux besoins familiaux ou de santé ; (...) / Les mesures prescrites en application des 1° à 10° du présent article sont strictement proportionnées aux risques sanitaires encourus et appropriées aux circonstances de temps et de lieu. Il y est mis fin sans délai lorsqu'elles ne sont plus nécessaires ». 

5. Par ailleurs, le 4° du même article 2 de la loi du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19 a complété l’article L. 3136-1 du code de la santé publique par cinq alinéas ainsi rédigés : « Le fait de ne pas respecter les réquisitions prévues aux articles L. 3131-15 à L. 3131-17 est puni de six mois d'emprisonnement et de 10 000 € d'amende. / La violation des autres interdictions ou obligations édictées en application des articles L. 3131-1 et L. 3131-15 à L. 3131-17 est punie de l'amende prévue pour les contraventions de la quatrième classe. Cette contravention peut faire l'objet de la procédure de l'amende forfaitaire prévue à l'article 529 du code de procédure pénale. Si cette violation est constatée à nouveau dans un délai de quinze jours, l'amende est celle prévue pour les contraventions de la cinquième classe. / Si les violations prévues au troisième alinéa du présent article sont verbalisées à plus de trois reprises dans un délai de trente jours, les faits sont punis de six mois d'emprisonnement et de 3 750 € d'amende ainsi que de la peine complémentaire de 

travail d'intérêt général, selon les modalités prévues à l'article 131-8 du code pénal et selon les conditions prévues aux articles 131-22 à 131-24 du même code (...). / Les agents mentionnés aux articles L. 511-1, L. 521-1, L. 531-1 et L. 532-1 du code de la sécurité intérieure peuvent constater par procès-verbaux les contraventions prévues au troisième alinéa du présent article lorsqu'elles sont commises respectivement sur le territoire communal, sur le territoire pour lequel ils sont assermentés ou sur le territoire de la Ville de Paris et qu'elles ne nécessitent pas de leur part d'actes d'enquête. / L'application de sanctions pénales ne fait pas obstacle à l'exécution d'office, par l'autorité administrative, des mesures prescrites en application des articles L. 3131-1 et L. 3131-15 à L. 3131-17 du présent code ». 

6. M. Caulet, sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice administrative, demande au juge des référés du Conseil d’Etat de suspendre l’exécution du décret n° 2020-293 du 23 mars 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l’épidémie de covid-19 dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire, ou du moins de l’article 3 de ce décret, ainsi que l’exécution du décret n° 2020-357 du 28 mars 2020 relatif à la forfaitisation de la contravention de la 5ème classe réprimant la violation des mesures édictées en cas de menace sanitaire grave et de déclaration de l'état d'urgence sanitaire. A l’appui de ce cette demande en référé, M. Caulet demande au Conseil d’État, en application de l’article 23-5 de l’ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des 3° et 4° de l’article 2 de la loi du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19. 

En ce qui concerne la question prioritaire de constitutionnalité : 

7. Aux termes du premier alinéa de l’article 23-5 de l’ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : « Le moyen tiré de ce qu’une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé (...) à l’occasion d’une instance devant le Conseil d’Etat (...) ». Il résulte des dispositions du même article que le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu’elle n’ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d’une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux. 

8. Les dispositions de l’article L. 3131-15 du code de la santé publique, issu de la loi du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19, citées au point 5 ci-dessus, définissent avec une précision suffisante les interdictions qui peuvent être édictées par le Premier ministre aux fins de garantir la santé publique, dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire. Les dispositions de l’article L. 3136-1 du même code, issues de la même loi, citées au point 6, définissent les peines encourues en cas de violation des interdictions ainsi édictées. Ainsi, les dispositions contestées ne méconnaissent par le principe de légalité des délits et des peines. 

9. Aux termes de l’article 8 de la Déclaration de 1789 : « La loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires (...) ». Les sanctions dont sont assorties les infractions ne doivent pas être manifestement disproportionnées eu égard à la qualification des faits en cause. En prévoyant, d’une part, que la violation des interdictions édictées par le Premier ministre serait passible de l'amende prévue pour les contraventions de la quatrième classe, soit en principe une amende forfaitaire de 135 euros, et en cas de récidive de l’amende prévue pour les contraventions de la cinquième classe et, d’autre part, que la violation des mêmes interdictions, verbalisée à plus de trois reprises dans un délai de trente jours serait punie de six mois d'emprisonnement et de 3 750 euros d'amende, le législateur n’a pas prévu des sanctions manifestement disproportionnées au regard de la gravité et de la nature des infractions réprimées dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire. 

10. Il résulte de ce qui précède que la question prioritaire de constitutionnalité, qui n’est pas nouvelle, ne peut être regardée comme présentant un caractère sérieux. Par suite, il n’y a pas lieu de la renvoyer au Conseil constitutionnel. 

En ce qui concerne les autres moyens : 

11. En premier lieu, le décret du 23 mars 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l’épidémie de covid-19 dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire, pris sur le fondement de l’article L. 3131-15 du code de la santé publique, fixe des mesures propres à garantir la santé publique dans les circonstances décrites aux points 2 à 4 ci-dessus. Son article 3 pose le principe d’une interdiction de tout déplacement des personnes hors de leur domicile, à l’exception de certains déplacements limitativement énumérés, en précisant qu’une personne souhaitant bénéficier de l’une de ces exceptions doit se munir d’un document permettant de justifier que le déplacement considéré entre dans le champ de cette exception. 

12. En second lieu, le décret du 28 mars 2020 relatif à la forfaitisation de la contravention de la 5ème classe réprimant la violation des mesures édictées en cas de menace sanitaire grave et de déclaration de l'état d'urgence sanitaire, pris pour l’application de l’article 529 du code de procédure pénale et dans le respect des dispositions de cet article, complète l’article R. 48-1 du code de procédure pénale pour rendre applicable la procédure de l’amende forfaitaire à la contravention de la 5ème classe prévue à la dernière phrase du troisième alinéa de l’article L. 3136-1 du code de la santé publique, notamment en cas de réitération d’une violation de l’interdiction édictée à l’article 3 du décret du 23 mars 2020. 

13. Si le législateur a prévu, par des dispositions insérées à l’article L. 3136-1 du code de la santé publique, que des violations des interdictions édictées en application de l’article L. 3131-15 du même code verbalisées à plus de trois reprises dans un délai de trente jours, constitueraient un délit puni de six mois d'emprisonnement et de 3 750 euros d'amende, il n’en résulte pas que le Premier ministre aurait été incompétent pour fixer, comme le prescrit l’article L. 3131-15, des mesures visant à interdire aux personnes de sortir de leur domicile, sous réserve des déplacements indispensables aux besoins familiaux ou de santé, ni qu’il ait, ce faisant, méconnu le principe de légalité des délits et des peines. 

14. L’interdiction de sortir de son domicile, ainsi que les exceptions dont elle est assortie, prévues à l’article 3 du décret du 23 mars 2020, qui sont définies en des termes suffisamment clairs et précis, ne sont pas manifestement contraires au principe, énoncé à l’article L. 3131-15 du code de la santé publique, selon lequel les mesures prescrites doivent être proportionnées aux risques sanitaires encourus et appropriées aux circonstances. Elles ne sont pas davantage contraires, en tout état de cause, aux principes de proportionnalité et de nécessité des délits et de peines. 

15. Par suite, si les dispositions décrites au point 11 ont pour effet de limiter la liberté d’aller et venir et que leur mise en œuvre peut, comme il est soutenu, emporter des restrictions au droit au respect de la vie privée et au droit de mener une vie familiale normale, le Premier ministre, en les adoptant, n’a pas porté d’atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale, eu égard aux circonstances qui ont donné lieu à la déclaration de l’état d’urgence sanitaire par l’article 4 de la loi du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19. 

16. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu’il soit besoin de se prononcer sur la condition d’urgence, qu’il est manifeste que la demande en référé n’est pas fondée. Il y a lieu, dès lors, de rejeter les conclusions de la requête par application de l’article L. 522-3 du code de justice administrative. 

ORDONNE: ------------------ 

Article 1er : Il n’y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par M. Caulet. 

Article 2 : La requête de M. Caulet est rejetée. 

Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée à M. Caulet.
Copie en sera adressée à la garde des sceaux, ministre de la justice et au Premier ministre.