Faits et procédure

1. Il résulte de l’ordonnance attaquée et des pièces de la procédure ce qui suit.

2. Par réquisitoire introductif du 6 juin 2018, le procureur de la République près le tribunal de grande instance de Meaux a ouvert une information contre personne non dénommée, et Mme Duboscq, vice-présidente chargée de l’instruction, a été désignée pour instruire.

3. Le réquisitoire introductif vise des faits de : harcèlement moral à l’égard de cinq personnes, prise illégale d’intérêts à l’occasion de quatre projets immobiliers, suppression frauduleuse de données contenues dans un système de traitement automatisé concernant un document, usage de sept faux pouvoirs lors de séances du conseil municipal, atteinte à la liberté d’accès ou à l’égalité des candidats dans les marchés publics, à l’occasion de quatre marchés publics, et de falsification d’un pouvoir établi au nom d’un conseiller municipal, ces faits s’inscrivant dans la gestion municipale de la commune de Dammartin-en-Goële, en Seine-et-Marne. Le réquisitoire introductif identifie les personnes victimes de harcèlement et d’usage de faux, ainsi que les marchés publics compris dans la saisine du juge d’instruction.

4. Par réquisitoire supplétif du 8 novembre 2018, la saisine du juge d’instruction a été étendue à des faits d’atteinte à la liberté d’accès ou à l’égalité des candidats à l’occasion d’un marché public en concurrence avec la SCET et d’un marché public visant la réalisation d’un Pôle Santé, ainsi qu’à des faits de prise illégale d’intérêt dans un projet immobilier de SEMOP.

5. Par ordonnance du 4 février 2019, le juge d’instruction a décidé de procéder à une perquisition au cabinet de Mme X..., avocat, appartenant au cabinet Y... et associés, du barreau de Paris.

6. Le magistrat instructeur a procédé à cette perquisition, le 6 février 2019, en présence du délégué du bâtonnier de l’ordre des avocats de Paris. Celui-ci s’est opposé à la saisie de documents par le juge d’instruction. Ces documents ont été placés sous scellés fermés, et il a été dressé un procès-verbal des contestations ainsi élevées, qui a été transmis au juge des libertés et de la détention du tribunal de Meaux.

7. Afin de statuer sur ces contestations, le juge des libertés et de la détention a entendu, le 8 février 2019, l’avocat concerné et trois de ses associés, le délégué du bâtonnier de Paris, le juge d’instruction et le procureur de la République.

8. A l’issue de cette audience, le juge des libertés et de la détention a statué par l’ordonnance attaquée.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

9. Le moyen critique l’ordonnance attaquée en ce qu’elle a déclaré valides les saisies pratiquées au cabinet de Me X... au sein du cabinet Y... dont elle est associée et ordonné le versement à la procédure de l’ensemble des pièces et documents, disant qu’ils seraient placés sous scellés ouverts et restitués au juge d’instruction, alors :

« 1°/ que constitue un excès de pouvoir le fait pour le juge des libertés et de la détention, statuant sur contestation des opérations de saisie de pièces au sein d’un cabinet d’avocat, de valider la saisie ordonnée par un juge d’instruction dont il existe un doute quant à son impartialité subjective eu égard au conflit qui l’oppose au cabinet de l’avocat faisant l’objet de la saisie ; qu’il résulte du procès-verbal d’audition suite à la contestation des opérations de saisie pratiquées au cabinet de Me X... au sein du cabinet Y... dont elle est associée, que Me Y... présent à cette audition en tant qu’associé et Me X... avaient indiqué que la saisie ordonnée posait difficulté dès lors que le cabinet se trouvait en situation de conflit avec Mme Duboscq juge d’instruction ayant ordonné la saisie puisque ce magistrat était également en charge de l’instruction de l’affaire Mouzin portant sur la disparition depuis 2003 d’une enfant mineure au sujet de laquelle le cabinet Y... et associés en qualité de partie civile avait, après avoir formé de multiples demandes d’actes demeurées infructueuses, mis en cause l’inaction du juge et demandé son dessaisissement ce qu’il avait obtenu, et ce dont le juge avait connaissance lorsqu’il avait ordonné la perquisition, et dont il résultait un doute certain quant à son impartialité subjective ; qu’en validant cependant les saisies pratiquées, le juge des libertés et de la détention a entaché sa décision d’un excès de pouvoir ;

2°/ que les perquisitions dans le cabinet d’un avocat ou à son domicile ne peuvent être effectuées que par un magistrat et en présence du bâtonnier ou de son délégué, à la suite d’une décision écrite et motivée prise par ce magistrat, qui indique précisément la nature de l’infraction sur laquelle portent les investigations, les raisons justifiant la perquisition et l’objet de celle-ci ; qu’aucune saisie ne peut concerner des documents ou des objets relatifs à d’autres infractions que celles mentionnées dans la décision de perquisition et que le magistrat chargé de la perquisition doit veiller à ce que les investigations ne portent pas atteinte au libre exercice de la profession d’avocat et au secret professionnel ; que par ordonnance du 4 février 2019 le magistrat instructeur ordonnait aux visas de l’article 56-1 et du réquisitoire supplétif visant « l’atteinte à la liberté d’accès ou à légalité des candidats dans les marchés publics dans le cadre d’un marché public en concurrence avec la Scet et dans le cadre d’un marché public pour le Pôle Santé  » la perquisition du cabinet de Me X... au sein du cabinet Y... dont elle est associée « aux fins de rechercher tous documents ou éléments susceptibles d’avoir concouru aux faits de favoritisme objet du réquisitoire supplétif » ; que dans sa requête aux fins de saisine du juge des libertés et de la détention le juge d’instruction requérait de ce dernier qu’il ordonne le versement des 4 scellés X... aux motifs que les courriels issus de sa boîte mail étaient utiles à la manifestation de la vérité en ce qu’ils étaient relatifs aux conditions de la passation du marché public de la Semop ; qu’en validant les saisies opérées et en refusant leur restitution, cependant que les documents afférents à la création de la Semop étaient relatifs à un chef de prévention distinct portant sur la prise illégale d’intérêt non visé par le réquisitoire supplétif support de l’ordonnance de perquisition au sein du cabinet d’avocat, le juge des libertés et de la détention a excédé ses pouvoirs ;

3°/ qu’excède ses pouvoirs le juge des libertés et de la détention qui valide des saisies pratiquées au sein d’un cabinet d’avocat sur la base d’une ordonnance du juge d’instruction qui n’indique pas les motifs justifiant la perquisition, ne décrit pas l’objet de celle-ci et qui prive ainsi le bâtonnier chargé de la protection des droits de la défense, de l’information qui lui est réservée et interdit ensuite le contrôle réel et effectif de cette mesure ; qu’en validant les saisies de courriels entre avocats, entre avocats et tiers, et entre avocats et client, aux motifs que ces éléments étaient relatifs à l’établissement du cahier des charges d’un marché public pour lequel le cabinet d’avocat en cause avait soumissionné par la suite, quand l’ordonnance du 4 février 2019 se bornait à viser un réquisitoire supplétif indiquant simplement la date des faits, la qualification pénale sans précision concrète quant aux agissements reprochés, qu’elle portait très largement sur tous documents ou tous éléments susceptibles d’avoir concouru aux faits de favoritisme dans le cadre d’un marché public en concurrence avec la Scet et d’un marché public pour le Pôle santé, mais qu’elle ne mentionnait pas les raisons précises de la saisie finalement opérée à savoir le fait que le cabinet d’avocat avait établi le cahier des charges du marché portant création de la Semop et ensuite soumissionné, ce qui n’avait pu permettre au Bâtonnier présent lors de la saisie d’apprécier l’existence ou non des indices mentionnés dans l’ordonnance de perquisition, le juge des libertés et de la détention a excédé ses pouvoirs ;

4°/ que entache sa décision d’un excès de pouvoir le juge des libertés et de la détention qui valide les opérations de saisie au sein d’un cabinet d’avocat dans leur intégralité et leur versement à la procédure cependant que des documents sont hors saisine et doivent donc être restitués ; que les atteintes au secret professionnel, lequel est inhérent à l’exercice de la mission d’avocat et constitue une garantie fondamentale, ne sauraient être entendues que de façon restrictive, ce qui n’autorise la saisie de documents, consultations ou de correspondances échangées entre avocats et entre avocat et client que si ceux-ci révèlent de façon intrinsèque la commission par l’avocat d’une infraction ou sa participation à l’infraction reprochée à son client et en tout état de cause que des seuls éléments se rapportant à l’infraction visée et strictement nécessaires à la manifestation de la vérité ; qu’en validant purement et simplement la saisie des 4 scellés X... dans leur intégralité, en ordonnant leur versement à la procédure et en refusant ainsi leur restitution aux motifs que toutes les pièces contestées étaient relatives à l’établissement du cahier des charges d’un marché public pour lequel le cabinet avait soumissionné et constituaient autant d’indices pouvant laisser supposer son implication dans une éventuelle participation aux faits délictueux de favoritisme, lorsqu’il résulte du procès-verbal d’audition, suite à la contestation des opérations de saisie du 8 février 2019, que la plupart des courriels saisis ne se rapportaient pas à l’appel d’offre portant création de la Semop ou n’étaient pas à destination de la mairie de Dammartin et se trouvaient ainsi hors saisine (PV p. 4, 5, 6 et 7) ce qui impliquait leur restitution, s’agissant de documents couverts par le secret professionnel, le juge d’instruction l’ayant lui-même admis, le juge des libertés et de la détention a entaché sa décision d’un excès de pouvoir ;

5°/ que ne peuvent être saisis dans le cabinet d’un avocat les documents propres à la défense de l’avocat concerné ; qu’en validant de manière globale la saisie des mails de Me X... quand il résulte du procès-verbal d’audition, suite à la contestation, qu’il avait été demandé la restitution de certains documents présentés comme étant à décharge, ce qui induisait qu’ils étaient utiles à la défense de l’avocat concerné et ne pouvaient être saisis, le juge des libertés et de la détention a manifestement enfreint ses pouvoirs ;

6°/ qu’entache sa décision d’un excès de pouvoir le juge des libertés et de la détention qui valide les opérations de saisie au sein d’un cabinet d’avocat dans leur intégralité et leur versement à la procédure, passant ainsi outre l’accord entre l’avocat saisi, le ministère public et le juge d’instruction en vue de leur restitution, ce qui démontre l’absence de nécessité et de proportionnalité de la mesure et a violation du secret professionnel en résultant ; qu’en refusant de restituer les courriels saisis sur l’ordinateur de Me X... et notamment les courriels échangés entre avocats en dépit de l’accord général du procureur adjoint concernant tous ces courriels sans opposition de principe du juge d’instruction si ce n’est que pour certains courriels particuliers, le juge des libertés et de la détention, qui a passé outre cet accord ou non opposition pour estimer que tous les courriels saisis devaient être conservés et versés à la procédure, a entaché sa décision d’un excès de pouvoir. »

Réponse de la Cour

Sur le moyen, pris en sa première branche

10. Il ne peut être reproché au juge des libertés et de la détention d’avoir commis un excès de pouvoir en ordonnant le versement, au dossier de l’information, de documents saisis par le juge d’instruction au cabinet de la demanderesse au pourvoi, avocat au barreau de Paris, malgré un conflit qui opposerait ce juge d’instruction à un associé de cet avocat, exerçant dans le même cabinet, qui aurait mis en cause l’inaction de ce juge d’instruction dans la conduite d’une information, dans une affaire distincte.

11. En effet, chargé de statuer sur les contestations élevées à l’occasion de la saisie de documents, effectuée lors d’une perquisition pratiquée par le juge d’instruction dans un cabinet d’avocat, le juge des libertés et de la détention n’est pas juge de la récusation du juge d’instruction.

12. Le grief ne peut donc être admis.

Mais sur le moyen, pris en sa troisième branche

Vu les articles 8 de la Convention européenne des droits de l’homme et 56-1 du code de procédure pénale :

13. Il résulte de ces textes que les perquisitions dans le cabinet d’un avocat ou à son domicile ne peuvent être effectuées que par un magistrat et en présence du bâtonnier ou de son délégué, à la suite d’une décision écrite et motivée prise par ce magistrat, qui indique la nature de l’infraction ou des infractions sur lesquelles portent les investigations, les raisons justifiant la perquisition et l’objet de celle-ci. Le contenu de cette décision est porté dès le début de la perquisition à la connaissance du bâtonnier ou de son délégué. L’absence, dans la décision prise par le magistrat, des motifs justifiant la perquisition et décrivant l’objet de celle-ci, qui prive le bâtonnier, chargé de la protection des droits de la défense, de l’information qui lui est réservée et qui interdit ensuite le contrôle réel et effectif de cette mesure par le juge des libertés et de la détention éventuellement saisi, porte nécessairement atteinte aux intérêts de l’avocat concerné (Crim. 9 février 2016, n°15-85.063, Bull. n°34).

14. L’ordonnance de perquisition, prise par le juge d’instruction, n’identifie pas les différents marchés publics visés par le réquisitoire introductif, ne contient pas les noms des personnes susceptibles d’avoir été victimes de harcèlement, visées au réquisitoire introductif, ne précise pas le document informatique qui aurait été supprimé de manière illégale, cette précision se trouvant dans le réquisitoire introductif, et n’indique pas la nature des documents qui auraient été falsifiés, ni des faux documents dont il aurait été fait usage. Cette ordonnance ne mentionne pas tous les marchés publics visés par le réquisitoire supplétif, et n’indique pas, en particulier, que la saisine du juge d’instruction s’étendait au projet de SEMOP, alors que des documents relatifs à ce projet ont été saisis par le juge d’instruction au cours de la perquisition.

15. Il suit de là que le bâtonnier, chargé de la protection des droits de la défense, n’a pas reçu, au début de la perquisition, les informations lui permettant de connaître les motifs de celle-ci, ainsi que son objet, qui comprenait la recherche de documents portant sur le marché public du projet de SEMOP, afin de déterminer le degré de participation à celui-ci de l’avocat concerné. Il en résulte que cette imprécision de l’ordonnance de perquisition a porté atteinte aux droits de la défense.

16. En ordonnant le versement, au dossier de l’information, de documents saisis au cours d’une perquisition irrégulière, le juge des libertés et de la détention a excédé ses pouvoirs.

17. Il suit de là que l’annulation de l’ordonnance est encourue.

Portée et conséquences de l’annulation prononcée

18. La Cour de cassation est en mesure de faire application de la règle de droit appropriée et d’ordonner la restitution des documents saisis lors de la perquisition irrégulière.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

ANNULE, en toutes ses dispositions, l’ordonnance susvisée du juge des libertés et de la détention du tribunal de grande instance de Meaux, en date du 8 février 2019 ;

ORDONNE la restitution des documents saisis lors de la perquisition faite au cabinet d’avocat de la demanderesse ;

DIT n’y avoir lieu à renvoi ;

ORDONNE le retour de la procédure au juge d’instruction du tribunal judiciaire de Meaux ;

ORDONNE l’impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe du tribunal judiciaire de Meaux et sa mention en marge ou à la suite de l’ordonnance annulée ;