Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Reims, 6 février 2019), M. Y..., engagé le 9 mai 2001 par la société Aries Packaging en qualité d'acheteur, puis devenu responsable des achats, a été licencié pour faute grave le 31 mars 2015.

2. Il a contesté son licenciement devant la juridiction prud'homale.

Examen des moyens

Sur le premier moyen , ci après annexé

3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Mais sur le second moyen

Enoncé du moyen

4.L'employeur fait grief à l'arrêt de le condamner à payer au salarié la somme de 4 000 euros à titre de dommages-intérêts pour préjudice moral alors « qu'en se déterminant ainsi, par des motifs impropres à caractériser un comportement fautif de l'employeur ayant causé au salarié un préjudice distinct de celui résultant de la perte de l'emploi, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard de l'article 1147 devenu L. 1231-1 du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 1147 du code civil dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 :

5. Pour condamner l'employeur à payer au salarié une somme à titre de dommages-intérêts pour préjudice moral, l'arrêt retient que le licenciement injustifié du salarié congédié pour faute grave, lui a causé un préjudice moral, distinct de celui résultant de la perte d'emploi et qui s'est traduit par un profond sentiment d'injustice, déstabilisant et, finalement, handicapant.

6. En se déterminant ainsi, sans caractériser un comportement fautif de l'employeur, ayant causé au salarié un préjudice distinct de celui résultant du licenciement, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne la société Aries Packaging à payer à M. Y... la somme de 4 000 euros à titre de dommages-intérêts pour préjudice moral, l'arrêt rendu le 6 février 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Reims ;

Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Amiens ;

Condamne M. Y... aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du seize septembre deux mille vingt.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyens produits par la SCP Rousseau et Tapie, avocat aux Conseils, pour la société Aries Packaging

PREMIER MOYEN DE CASSATION

Il est reproché à l'arrêt attaqué d'avoir confirmé le jugement ayant dit que le licenciement de M. Y... était sans cause réelle et sérieuse ;

Aux motifs propres qu' à la suite d'une panne du poste informatique mis à la disposition du salarié pour l'exercice de ses fonctions, l'employeur a eu connaissance de l'usage fait par ce dernier de la connexion à l'internet ; que la lettre de licenciement du 31 mars 2015 est motivée notamment en ces termes : « (...) nous avons découvert que vous faisiez un usage abusif de la connexion internet de l'entreprise en vous connectant, à de multiples reprises, pendant votre temps de travail, sur des sites extraprofessionnels, à des fins personnelles. Ainsi, par exemple, sur la semaine du 2 au 6 février 2015, l'historique de votre navigateur laisse apparaître que vous vous êtes connecté à 408 reprises à Internet, dont, a minima, 324 connexions à des fins personnelles (représentant 79,41 % des connexions). Un tel comportement constitue une violation de vos obligations contractuelles dès lors, d'une part, que vous utilisez votre temps de travail ainsi que les outils professionnels mis à votre disposition à des fins personnelles et, d'autre part, que vous accomplissez, par ailleurs, des heures supplémentaires, soit réglées majorées, soit récupérées, qui sont manifestement injustifiées au regard de votre charge de travail (...). Vous n'avez, à aucun moment, nié les faits qui vous sont reprochés. (...) Compte tenu de la gravité des faits qui vous sont reprochés et de leurs conséquences, votre maintien dans l'entreprise s'avère impossible (...) » ; que l'employeur se prévaut d'un constat d'huissier qui recense 738 connexions à l'internet pour un usage non professionnel sur la semaine du 29 janvier au 6 février 2015 relatif à des sites essentiellement de messageries, de banque d'images ou de peinture ; qu'il importe peu, contrairement à ce qu'indique le salarié, que les consultations de ces sites aient été courtes, de l'ordre de quelques minutes, et qu'elles aient pu être espacées de coupures de trafic, comptabilisées à tort dans le temps de consultation ; que ces circonstances établissent au contraire que M. Y... ne se tenait pas constamment au service de son employeur aux heures considérées comme habituelles, ce qui motive le grief ; qu'en revanche, elles apparaissent de nature à rendre incertaine la quantification exacte du temps de consultation qui n'est pas déterminé avec précision ; que c'est, par ailleurs, à juste titre que M. Y... rappelle, sur la base de nombreux témoignages de collègues, que l'employeur tolérait l'usage à des fins personnelles de l'internet mis à disposition des salariés pour l'accomplissement de leur travail ; que tolérer ne signifie évidemment pas admettre un abus mais permet néanmoins de remettre le grief en perspective ;
que la société Aries Packaging invoque, en réplique, l'article 12 du règlement intérieur, prévoyant que « les salariés sont tenus de conserver en bon état ce qui leur a été confié (matériel, machines, outillages, véhicules, ouvrages, documents, etc) par l'entreprise pour l'accomplissement de leur travail, sans pouvoir en faire un usage à des fins personnelles en particulier » ; qu'indépendamment de la contradiction entre cet article et la pratique autorisée par l'employeur, le salarié souligne avec pertinence que ce règlement n'est ni daté, ni signé et que la preuve de son envoi à l'inspection du travail n'est pas rapportée, de sorte que ce texte ne lui est pas opposable ; qu'il faut nécessairement en déduire que l'usage de l'internet à des fins personnelles pendant le temps de travail, et avec le matériel professionnel, ne faisait l'objet dans l'entreprise d'aucune réglementation particulière ; que c'est également à tort que l'employeur se prévaut des incidences sur le travail de son salarié des connexions à l'internet qu'il dénonce ; que d'une part, ce grief ne figure pas en tant que tel dans la lettre de licenciement laquelle se borne à reprocher l'usage personnel et abusif de l'internet, et non ses conséquences sur le travail, c'est-à-dire notamment sur les objectifs professionnels attendus et atteints que d''autre part, et en toute hypothèse, l'employeur n'établit nullement que la modification alléguée des fonctions d'un collègue de M. Y..., à laquelle il consacre une partie de son argumentation, ait été en lien avec le grief motivant le licenciement ; que comme celui-ci le rappelle justement, il était soumis à une convention de forfait annuel en jours de sorte que l'employeur l'avait autorisé à organiser librement son temps de travail à l'intérieur de ce forfait ; que ce dernier ne pouvait donc pas lui reprocher des navigations sur l'internet au motif qu'elles intervenaient, par exemple, en milieu de journée alors qu'il avait permis à son salarié de définir librement son temps de travail au cours de la journée ; qu'il ne pouvait d'ailleurs pas davantage lui faire grief, dans la lettre de licenciement, d'avoir à tort revendiqué le bénéfice d'heures supplémentaires en raison précisément de cette convention de forfait, étant précisé que, fort logiquement, aucun bulletin de salaire ne porte mention d'un quelconque paiement de telles heures ; que la circonstance que la convention de forfait annuel en jours puisse être privée d'effet est indifférente compte tenu du motif avancé par le salarié, examiné ultérieurement, relatif à l'absence de mise en place par l'employeur d'un dispositif de suivi du temps et de la charge de travail ; qu'un tel grief, s'il était établi, ne pourrait être invoqué par l'employeur à son bénéfice pour écarter le moyen de défense tirée de l'existence de la convention de forfait annuel en jours puisque ce grief lui est précisément imputable ; qu'en conséquence, aucune faute grave ni même aucun motif sérieux ne peut fonder le licenciement, ce qui commande de confirmer le jugement et de juger le licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

Et aux motifs adoptés que la nouvelle direction en mai 2014 a rétabli l'accès à internet au profit de l'ensemble des salariés ; que de ce fait, elle ne peut rendre opposable l'application de l'article 12 du règlement intérieur, interdisant l'utilisation du matériel informatique à des fins personnelles ; qu'en l'absence de charte ou d'accord d'entreprise réglementant l'utilisation du matériel informatique à des fins personnelles, elle ne peut reprocher au salarié le principe de cette utilisation ; qu'au vu du constat d'huissier, M. Y... a eu 738 connexions à internet pour un usage non professionnel pour la semaine du 29 janvier au 6 février 2015 ; que le nombre de connexions n'est pas contestable ; que si M. Y... conteste la comptabilisation du temps de connexion par l'employeur, il reconnaît néanmoins des temps de connexion importants, pour exemple, pour le 6 février 2015, il indique lui-même qu'il convient de retenir 1h26 de connexion à titre personnel ; que si ces faits constituent des manquements graves à ses obligations contractuelles, dès lors que la société avait elle-même permis l'accès à internet sur les postes de travail et n'avait pas réglementé l'utilisation à des fins personnelles, ils ne peuvent justifier le licenciement de M. Y... ; que le licenciement est donc sans cause réelle et sérieuse ;

Alors 1°) que constitue une violation des obligations découlant du contrat de travail autorisant l'employeur à prononcer un licenciement disciplinaire, l'usage abusif au temps et lieu de travail de l'ordinateur professionnel et de sa connexion internet à titre personnel ; que la cour d'appel a constaté, par motifs propres, qu'il ressortait d'un constat d'huissier que M. Y... avait effectué 738 connexions à internet pour un usage non professionnel du 29 janvier au 6 février 2015, qu'il importait peu que les consultations aient été courtes, de l'ordre de quelques minutes, et aient pu être espacées de coupures de trafic, comptabilisées à tort dans le temps de consultation, ces circonstances établissant qu'il ne se tenait manifestement pas constamment au service de son employeur aux heures considérées comme habituelles ; que la cour d'appel a constaté, par motifs adoptés, que M. Y... reconnaissait des temps de connexion importants, comme 1h26 à titre personnel le 6 février 2015 à titre d'exemple, et que ces faits constituaient des manquements graves à ses obligations contractuelles ; qu'en n'ayant pas tiré les conséquences légales de ses constatations, dont il résultait que M. Y... avait commis une faute grave justifiant son licenciement, la cour d'appel a violé les articles L. 1232-1, L. 1234-1, L. 1234-5, L. 1234-9 du code du travail ;

Alors 2°) qu'en s'étant fondée sur les circonstances inopérantes que le règlement intérieur n'était pas opposable au salarié et que la quantification exacte du temps de consultation n'était pas déterminée avec précision, cependant que le comportement gravement fautif du salarié ressortait du nombre extrêmement élevé des connexions à usage non professionnel (738 pour la seule période du 29 janvier au 6 février 2015), et que M. Y... avait lui-même reconnu des temps de connexion importants (par exemple 1h26 de connexion à titre personnel, pour le seul jour de 6 février 2015), la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 1232-1, L. 1234-1, L. 1234-5, L. 1234-9 du code du travail ;

Alors 3°) qu'en s'étant fondée sur la circonstance inopérante que le salarié était soumis à une convention de forfait en jours, laquelle ne l'autorisait pas à vaquer à des occupations personnelles avec le matériel de l'entreprise lorsqu'il était à son poste de travail et n'était pas de nature à enlever au comportement du salarié son caractère gravement fautif, la cour d'appel a de nouveau privé sa décision de base légale au regard des articles L. 1232-1, L. 1234-1, L. 1234-5, L. 1234-9 du code du travail.

SECOND MOYEN DE CASSATION

Il est reproché à l'arrêt attaqué d'avoir condamné la société Aries Packaging à payer à M. Y... la somme de 4 000 euros à titre de dommages-intérêts pour préjudice moral ;

Aux motifs qu'il résulte d'un certificat médical du 16 février 2016 établi par le médecin traitant de M. Y... qu'à la suite de son licenciement, le salarié a présenté « un tableau anxiodépressif majeur venant et aggravant un état cardiaque affaibli (...) nécessitant son placement « sous anxiolytiques et antidépresseurs » ; que M. Y... a été reconnu travailleur handicapé par une décision du 18 décembre 2015, six mois après son licenciement ; que ses recherches d'emploi sont devenues encore plus difficiles et n'ont pas rencontré le succès escompté ; qu'il n'est pas sérieusement contestable que le licenciement injustifié du salarié, congédié pour faute grave, lui a causé un préjudice moral, distinct de celui résultant de la perte d'emploi qui est réparé par l'indemnisation accordée au titre de la rupture ; que ce préjudice moral s'est traduit notamment par un profond sentiment d'injustice, déstabilisant et, finalement, handicapant ; qu'il sera accordé à M. Y... la somme de 4 000 euros de ce chef ;

Alors qu'en se déterminant ainsi, par des motifs impropres à caractériser un comportement fautif de l'employeur ayant causé au salarié un préjudice distinct de celui résultant de la perte de l'emploi, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard de l'article 1147 devenu L. 1231-1 du code civil.