La société Transports voyageurs du Mantois, société par actions simplifiée, dont le siège est [...] , a formé le pourvoi n° P 18-20.439 contre l'arrêt rendu le 6 juin 2018 par la cour d'appel de Versailles (17e chambre), dans le litige l'opposant à M. F... N..., domicilié [...] , défendeur à la cassation.

Attendu, selon l'arrêt attaqué, qu'engagé le 5 décembre 1994 par la société Cars Giraux aux droits de laquelle vient la société Transports voyageurs du Mantois pour occuper au dernier état de la relation contractuelle les fonctions de chef de service contrôle, M. N... a saisi le 5 mars 2013 la juridiction prud'homale ; qu'à la suite de l'audience du bureau de jugement qui s'est tenue le 17 octobre 2014, il a été convoqué à un entretien préalable le 27 octobre 2014 et a fait l'objet d'une mise à pied disciplinaire de six jours prononcée le 24 novembre 2014 ; que par jugement avant dire droit du 9 janvier 2015, le conseil de prud'hommes a ordonné une mesure d'instruction, M. N... étant entendu par les conseillers rapporteurs en présence de la direction de l'entreprise le 4 février 2015 ; que convoqué à un entretien préalable le 6 février 2015, il a été licencié pour faute grave le 3 mars 2015 ;

Sur le second moyen :

Attendu que l'employeur fait grief à l'arrêt d'annuler la mise à pied disciplinaire et de le condamner à payer au salarié des sommes à titre de rappel de salaire et congés payés afférents, alors, selon le moyen, que le droit d'ester en justice n'implique, ni ne protège aucun droit de constituer et produire de fausses preuves ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté que la mise à pied avait été prononcée à raison de l'implication du salarié dans la constitution et l'utilisation de fausses preuves dans une procédure prud'homale dirigée contre l'employeur ; qu'en jugeant que ces faits particulièrement graves ne pouvaient pas être sanctionnés, la cour d'appel a violé les articles L. 1121-1 et L. 1333-2 du code du travail, ensemble les articles 6 § 1 et 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Mais attendu qu'ayant constaté que la lettre de mise à pied disciplinaire reprochait au salarié d'avoir produit dans le cadre de l'instance prud'homale des documents internes falsifiés ainsi que des faux témoignages obtenus par abus de sa position hiérarchique et de ne pas s'être « retiré du contentieux en cours », la cour d'appel a fait ressortir que la seule référence dans la lettre de notification de la sanction à une procédure contentieuse engagée par le salarié était constitutive d'une atteinte à la liberté fondamentale d'ester en justice ; que le moyen n'est pas fondé ;

Sur le premier moyen, pris en ses trois premières branches :

Attendu que l'employeur fait grief à l'arrêt de prononcer la nullité du licenciement du salarié, d'ordonner sa réintégration, de le condamner à lui verser des sommes à titre d'indemnité d'éviction, selon le moyen :

1°/ que l'employeur peut, de bonne foi, procéder au licenciement d'un salarié dont il estime qu'il a délibérément produit des fichiers qui ont été falsifiés sur le réseau informatique de l'entreprise, et menti lors d'un entretien préalable au cours duquel il avait affirmé ignorer l'origine de ces fichiers et le fait qu'ils avaient été produits en justice au soutien de demandes qu'il n'avait pas formées, ce qui caractérise un comportement déloyal indépendant de l'exercice de l'action en justice ; qu'en considérant que le licenciement du salarié était la conséquence de la poursuite par celui-ci de la procédure prud'homale engagée et de son absence de renoncement à ses demandes de primes de caisse et d'astreinte, sans rechercher si le salarié avait, ou non, délibérément utilisé de faux documents et menti pour tenter d'obtenir la condamnation judiciaire de la société à lui verser des rappels de primes indus, ce qui pouvait constituer un motif de licenciement qui ne portait pas atteinte au droit d'ester en justice, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 6 § 1 et 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ensemble les articles L. 1121-1 et L. 1234-1 du code du travail ;

2°/ qu'il en va d'autant plus ainsi qu'il ressort des propres constatations de l'arrêt attaqué que l'action exercée par le salarié avait été introduite devant le conseil de prud'hommes dix-huit mois plus tôt sans que cela ne suscite de réaction hostile de la société et que ce n'était qu'après la production des pièces qu'elle estimait falsifiées et les déclarations du salarié selon lesquelles il aurait été totalement étranger à cette production, pour finalement découvrir qu'il avait menti, que la procédure de licenciement avait été engagée ; qu'en considérant qu'en dépit de ces éléments montrant que la mesure de licenciement était objectivement étrangère à toute atteinte au droit de du salarié d'exercer son droit d'ester en justice, la cour d'appel a méconnu son office et violé les articles 6 § 1 et 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ensemble les articles L. 1121-1 et L. 1234-1 du code du travail ;

3°/ que les faits survenus postérieurement à un avertissement peuvent être sanctionnés par un licenciement ; que le licenciement du salarié était motivé par la découverte du caractère mensonger des déclarations qu'il avait faites lors d'un entretien préalable qui avait abouti à la notification d'un avertissement ; que la société était en droit de considérer que les mensonges du salarié lors de cet entretien lui permettaient de retenir le caractère déloyal de la production de pièces qu'il savait falsifiées pour obtenir un gain judiciaire indu ; que si l'on devait admettre que les motifs des premiers juges sur l'application de la règle non bis in idem ont été adoptés, ce qui n'est pas, la cour d'appel aurait alors violé par fausse application ce principe ;

Mais attendu qu'ayant constaté que la lettre de licenciement reprochait au salarié le contenu de ses déclarations faites devant les conseillers rapporteurs du conseil de prud'hommes au cours de la mesure d'instruction et que le licenciement résultait de la poursuite par le salarié de l'instance prud'homale malgré la mise à pied disciplinaire, la cour d'appel a, par ces seuls motifs, légalement justifié sa décision ;

Mais sur le premier moyen, pris en sa quatrième branche :

Vu l'article 1153 devenu l'article 1231-6 du code civil ;

Attendu que la cour d'appel confirme le jugement en ce qu'il fixe les intérêts au taux légal sur les sommes qu'elle alloue au titre de l'indemnité d'éviction à compter du 8 mars 2013, date de la réception de la convocation devant le bureau de conciliation ;

Qu'en statuant ainsi, alors d'une part, qu'il résulte de ses constatations que le salarié a été licencié le 3 mars 2015 en sorte qu'il ne peut bénéficier d'intérêts au taux légal à compter du 8 mars 2013 et d'autre part, que les créances salariales produisent intérêts au taux légal à compter du jour où le salarié formalise sa demande en réintégration et en paiement de rappel de salaires et à compter de chaque échéance devenue exigible, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;

Et attendu qu'il y a lieu de condamner la société, qui succombe pour l'essentiel, aux dépens de l'instance ;

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il fixe au 8 mars 2013 le point de départ des intérêts au taux légal sur les sommes de 37 706,22 euros et de 3 770,62 euros allouées au titre de l'indemnité d'éviction et des congés payés afférents, l'arrêt rendu le 6 juin 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ;

Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Versailles autrement composée ;

Condamne la société Transports voyageurs du Mantois aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de la société Transports voyageurs du Mantois et la condamne à payer à M. N... la somme de 3 000 euros ;