Cour de justice de l’Union européenne 

COMMUNIQUE DE PRESSE n° 45/20 

Luxembourg, le 2 avril 2020 

Conclusions de l’avocat général dans l’affaire C-343/19 Presse et Information Verein für Konsumenteninformation/Volkswagen AG 

Selon l’avocat général Campos Sánchez-Bordona, les acquéreurs de véhicules qui ont été manipulés peuvent attraire une entreprise devant les juridictions de l’État dans lequel ces véhicules ont été achetés 

La société allemande Volkswagen a installé dans ses véhicules à moteur un dispositif (un logiciel de manipulation) qui a masqué, lors des essais, les valeurs réelles d’émissions de gaz (1) d’échappement, en violation des dispositions du droit de l’Union . Cette manipulation a été révélée au public le 18 septembre 2015. 

L’organisation de consommateurs autrichienne Verein für Konsumenteninformation (VKI), à laquelle 514 acheteurs de véhicules manipulés ont cédé leurs droits, a, en septembre 2018, agi en justice contre Volkswagen devant le Landesgericht Klagenfurt (tribunal régional de Klagenfurt, Autriche). Les acheteurs ont acquis les véhicules en cause en Autriche auprès de concessionnaires professionnels ou auprès de particuliers avant que les manipulations aient été rendues publiques. 

VKI demande à Volkswagen la réparation du préjudice subi (en substance, la différence entre le prix d’un véhicule manipulé et celui effectivement payé) et que celle-ci soit déclarée responsable pour d’autres dommages qui restent à quantifier (tels que la diminution de valeur de marché plus importante des véhicules concernés ou l’interdiction de circuler). La juridiction autrichienne n’est pas certaine de disposer de la compétence judiciaire internationale pour connaître du litige, raison pour laquelle elle a saisi la Cour d’une demande de décision préjudicielle, afin que celle-ci précise (2)  sa jurisprudence relative au règlement sur la compétence judiciaire 

Dans ses conclusions présentées aujourd’hui dans cette affaire, l’avocat général Manuel Campos Sánchez-Bordona expose, en premier lieu, que, conformément à la règle générale en matière de compétence judiciaire internationale, le demandeur doit saisir les juridictions de l’État du domicile du défendeur (for du domicile du défendeur). Il existe cependant des fors alternatifs. Ainsi, dans les litiges en matière délictuelle ou quasi délictuelle, le règlement offre au demandeur la possibilité de saisir la juridiction du lieu où le fait dommageable s’est produit ou risque de se produire

Bien que cette matière couvre une grande variété de situations, la détermination du for doit respecter les principes de prévisibilité des règles pour les parties et de proximité : c’est-à-dire qu’il doit exister un lien particulièrement étroit entre la juridiction compétente et le litige, afin que la sécurité juridique soit garantie et afin d’éviter qu’une personne soit attraite devant une juridiction d’un État membre qu’elle ne pouvait raisonnablement prévoir. 

Lorsque le comportement illicite et ses conséquences sont situés dans différents États membres, le demandeur peut choisir entre deux juridictions : celle où est survenu le dommage (lieu de matérialisation du dommage) ou celle du lieu où s’est produit le fait qui l’a causé (lieu du fait à l’origine du dommage) car il est présumé que les deux lieux présentent un lien significatif avec le litige. 

M. Campos Sánchez-Bordona considère que, en l’espèce, le fait générateur consiste en l’installation, au cours du processus de fabrication du véhicule, du logiciel qui modifie les données relatives aux émissions de gaz de celui-ci. Le lieu où s’est produit le fait à l’origine du dommage est l’Allemagne, puisque c’est là que les véhicules manipulés ont été fabriqués. Par conséquent, conformément à la règle générale, le fabricant des véhicules, en tant que personne ayant son siège en Allemagne, pourrait en principe être attrait devant les juridictions de cet État membre. Mais comme la demande trouve son origine dans un fait illicite en matière délictuelle ou quasi délictuelle, il est également possible que cette entreprise soit attraite dans un autre État membre, devant les juridictions du lieu où s’est matérialisé le dommage. 

Pour préciser en quel lieu s’est matérialisé le dommage, la jurisprudence considère qu’il convient de tenir compte uniquement du dommage initial et non du dommage consécutif, et de celui subi par la victime directe, et non de celui subi par des tiers « par ricochet ». 

Selon l’avocat général, en l’espèce, la différence entre le prix payé et la valeur du véhicule manipulé génère un désavantage patrimonial concomitant à l’acquisition du véhicule (désavantage qui ne sera toutefois découvert que plus tard). Cette perte patrimoniale est initiale et non consécutive, puisqu’elle dérive directement du fait générateur (la manipulation du moteur) et non d’un préjudice antérieur. 

D’autre part, l’avocat général considère que les personnes qui ont acheté les voitures sont des victimes directes, puisque la perte patrimoniale qu’elles allèguent n’est pas la conséquence d’un dommage antérieur subi par d’autres personnes. En effet, la diminution de la valeur des véhicules ne s’est pas concrétisée avant que la manipulation des moteurs ait été rendue publique. Par conséquent, les personnes qui ont acquis le véhicule d’un acheteur antérieur sont également des victimes directes, mais l’acheteur antéieur n’a pas subi de quelconque préjudice : le dommage, latent à ce moment, ne s’est déclaré que plus tard, affectant le propriétaire suivant. 

Étant donné que l’emplacement du véhicule est imprévisible, l’avocat général considère que le lieu de matérialisation du dommage est celui où la transaction par laquelle le bien est devenu partie intégrante du patrimoine de la personne concernée et a causé la perte

Les juridictions de ce lieu seront compétentes (sur le plan international) si les autres circonstances spécifiques de l’affaire coïncident également pour attribuer cette compétence, en tenant compte des critères de proximité et de prévisibilité. M. Campos Sánchez-Bordona souligne que lorsque le dommage est purement économique, ces circonstances varient en fonction des caractéristiques de chaque litige. En l’espèce, il estime qu’un constructeur automobile tel que Volkswagen était facilement en mesure de prévoir que ses véhicules seraient commercialisés en Autriche, de sorte qu’il pouvait ainsi raisonnablement prévoir qu’une action en responsabilité civile pourrait être intentée contre lui par de futurs acquéreurs du produit dans ce pays. 

L’avocat général souligne que l’examen d’ensemble de ces circonstances spécifiques doit avoir pour seul but de corroborer (ou d’écarter) la compétence de la juridiction du lieu de matérialisation du dommage. Cet examen ne doit pas servir à choisir quelle juridiction (en l’espèce la juridiction autrichienne ou les juridictions allemandes) devrait statuer sur le fond de l’affaire en raison du fait qu’elle est plus proche et plus prévisible. Par conséquent, la juridiction du lieu où le dommage s’est matérialisé n’est pas autorisée à établir ou à décliner sa compétence exclusivement sur la base d’une mise en balance de ces circonstances spécifiques

1 Règlement (CE) no 715/2007 du Parlement européen et du Conseil, du 20 juin 2007, relatif à la réception des véhicules à moteur au regard des émissions des véhicules particuliers et utilitaires légers (Euro 5 et Euro 6) et aux informations sur la réparation et l’entretien des véhicules (JO 2007, L 171, p. 1).

2 Règlement du Parlement européen et du Conseil, du 12 décembre 2012, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (JO 2012, L 351, p. 1). 

RAPPEL : Les conclusions de l’avocat général ne lient pas la Cour de justice. La mission des avocats généraux consiste à proposer à la Cour, en toute indépendance, une solution juridique dans l’affaire dont ils sont chargés. Les juges de la Cour commencent, à présent, à délibérer dans cette affaire. L’arrêt sera rendu à une date ultérieure. 

RAPPEL : Le renvoi préjudiciel permet aux juridictions des États membres, dans le cadre d’un litige dont elles sont saisies, d’interroger la Cour sur l’interprétation du droit de l’Union ou sur la validité d’un acte de l’Union. La Cour ne tranche pas le litige national. Il appartient à la juridiction nationale de résoudre l’affaire conformément à la décision de la Cour. Cette décision lie, de la même manière, les autres juridictions nationales qui seraient saisies d’un problème similaire.