Cas. Com 16 Juillet 2020 n° 17-19441  Renvoi devant la cour de justice de l'U.E caisse régionale de Crédit agricole mutuel (CRCAM) Alpes-Provence, .

Rappel des faits et de la procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 6 avril 2017), par un acte du 22 décembre 2008, la société caisse régionale de Crédit agricole mutuel Alpes Provence (la banque) a consenti à la société Groupe centrale automobiles (la société GCA), dont Mme S... était la gérante, une ouverture de crédit en compte courant, garantie par le cautionnement solidaire de M. O.... Après avoir dénoncé cette ouverture de crédit, la banque a assigné en paiement la caution, qui a soutenu qu'en procédant à des virements au profit de tiers sans autorisation, la banque avait commis une faute et que le montant de ces virements devait venir en déduction de sa créance.

2. La cour d'appel a dit M. O... irrecevable en ses contestations, en retenant qu'en application de l'article L. 133-24 du code monétaire et financier, la société GCA disposait d'un délai de forclusion de treize mois pour contester les opérations litigieuses et que, si ce délai avait pu être interrompu par les courriels échangés le 3 mars 2011 par lesquels la gérante de la société GCA demandait des renseignements sur ces opérations, un nouveau délai de treize mois avait couru à compter de cette date. La cour d'appel en a déduit que, la contestation des virements litigieux n'ayant été effectuée que par des conclusions du 15 mai 2013, la forclusion était encourue.

3. Au soutien de leur pourvoi en cassation contre cet arrêt, Mme S... et M. O... font valoir que l'article L. 133-18 du code monétaire et financier, offrant le bénéfice d'un remboursement immédiat des opérations de paiement non autorisées signalées par l'utilisateur à la banque, ne fait pas obstacle à ce que la responsabilité contractuelle de droit commun de la banque soit retenue, par ailleurs, en cas de manquement à son devoir de vigilance, s'il est apporté la preuve d'un préjudice en résultant, et qu'en jugeant le contraire, la cour d'appel a violé l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016, et 1937 du même code.

4. Ce moyen étant soulevé par M. O... en qualité de caution, il convient de préciser que, débiteur accessoire, « celui qui se rend caution d'une obligation se soumet envers le créancier à satisfaire à cette obligation, si le débiteur n'y satisfait pas lui-même » (article 2288 du code civil). L'article 2313, alinéa 1er, du code civil dispose que « la caution peut opposer au créancier toutes les exceptions qui appartiennent au débiteur principal, et qui sont inhérentes à la dette » et « notamment la compensation de ce que le créancier doit au débiteur principal » (1re Civ., 1er juin 1983, n° 82-10.749, Bull. n° 165 ; Com., 7 janvier 1992, n° 90-11.123, Bull. n° 1 ; Com., 19 janvier 1993, n° 91-11.426, Bull. n° 15 ; Com., 26 octobre 1999, n° 96-12.571, Bull. n° 181 ; Com., 17 juillet 2001, n°98-15.736, Bull. n° 138). Cette règle peut trouver à s'appliquer lorsque le créancier a commis une faute à l'égard du débiteur principal, engageant sa responsabilité civile et l'obligeant en conséquence au paiement de dommages-intérêts audit débiteur principal en réparation de son préjudice.

5. Il résulte de l'article 1147 du code civil que toute inexécution d'une obligation contractuelle ayant causé un dommage au créancier de l'obligation oblige le débiteur de celle-ci à en répondre. La jurisprudence applique le principe de réparation intégrale du préjudice, imposant de « replacer la victime dans la situation où elle se serait trouvée si l'acte dommageable ne s'était pas produit » (2e Civ., 9 juillet 1981, n° 80-12.142, Bull. n° 156).

6. L'article L. 133-18 du code monétaire et financier, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2009-866 du 15 juillet 2009, qui a transposé l'article 58 de la directive 2007/64/CE du Parlement et du Conseil du 13 novembre 2007 sur les services de paiement dans le marché intérieur (DSP1) ou l'article 71 de la directive (UE) 2015/2366 du Parlement européen et du Conseil du 25 novembre 2015 sur les services de paiement dans le marché intérieur (DSP2) qui l'a remplacée, sans changement substantiel, dispose : « En cas d'opération de paiement non autorisée signalée par l'utilisateur dans les conditions prévues à l'article L. 133-24, le prestataire de services de paiement du payeur rembourse immédiatement au payeur le montant de l'opération non autorisée et, le cas échéant, rétablit le compte débité dans l'état où il se serait trouvé si l'opération de paiement non autorisée n'avait pas eu lieu.
Le payeur et son prestataire de services de paiement peuvent décider contractuellement d'une indemnité complémentaire. »

7. L'alinéa 1er de l'article L. 133-24 du code monétaire et financier, dans sa rédaction issue des mêmes textes, dispose : « L'utilisateur de services de paiement signale, sans tarder, à son prestataire de services de paiement une opération de paiement non autorisée ou mal exécutée et au plus tard dans les treize mois suivant la date de débit sous peine de forclusion à moins que le prestataire de services de paiement ne lui ait pas fourni ou n'ait pas mis à sa disposition les informations relatives à cette opération de paiement conformément au chapitre IV du titre 1er du livre III. »

8. Aux termes de l'article 58 précité, intitulé « Notification des opérations de paiement non autorisées ou mal exécutées », « L'utilisateur de services de paiement n'obtient du prestataire de services de paiement la correction d'une opération que s'il signale sans tarder à son prestataire de services de paiement qu'il a constaté une opération de paiement non autorisée ou mal exécutée donnant lieu à une revendication, y compris au titre de l'article 75, et au plus tard dans les treize mois suivant la date de débit, à moins que, le cas échéant, le prestataire de services de paiement n'ait pas fourni ou mis à disposition les informations relatives à cette opération de paiement conformément au titre II. »

9. Aux termes de l'article 60 de la DSP1, intitulé « Responsabilité du prestataire de services de paiement en cas d'opérations de paiement non autorisées »,

« 1. Les États membres veillent, sans préjudice de l'article 58, à ce que, en cas d'opération de paiement non autorisée, le prestataire de services de paiement du payeur rembourse immédiatement au payeur le montant de cette opération de paiement non autorisée et, le cas échéant, rétablisse le compte de paiement débité dans l'état où il se serait trouvé si l'opération de paiement non autorisée n'avait pas eu lieu.

2. Une indemnisation financière complémentaire peut être déterminée conformément à la loi applicable au contrat conclu entre le payeur et son prestataire de services de paiement. »

10. Le pourvoi porte sur l'articulation entre le régime de responsabilité instauré par les directives précitées, transposées par les articles L. 133-18 et L. 133-24 du code monétaire et financier, et celui de la responsabilité civile contractuelle de droit commun. En particulier, se pose la question du caractère exclusif du régime de responsabilité organisé par les directives, lesquelles n'apportent pas de précision à cet égard.

11. La Cour de justice de l'Union européenne ne semblant pas s'être prononcée sur ce point, il y a lieu de l'interroger.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

Vu l'article 267 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne :

Renvoie à la Cour de justice de l'Union européenne aux fins de répondre aux questions suivantes :

1°/ « L'article 58 de la directive 2007/64/CE du Parlement européen et du Conseil du 13 novembre 2007 concernant les services de paiement dans le marché intérieur, modifiant les directives 97/7/CE, 2002/65/CE, 2005/60/CE ainsi que 2006/48/CE et abrogeant la directive 97/5/CE, doit-il être interprété en ce sens qu'il instaure, pour les opérations de paiement non autorisées ou mal exécutées, un régime de responsabilité du prestataire de services de paiement exclusif de toute action en responsabilité civile de droit commun fondée, à raison des mêmes faits, sur un manquement de ce prestataire aux obligations qui lui sont imposées par le droit national, en particulier dans l'hypothèse où l'utilisateur de services de paiement n'a pas, dans les treize mois du débit, informé le prestataire de services de paiement qu'une opération de paiement n'avait pas été autorisée ou avait été mal exécutée ? »

2°/ « En cas de réponse affirmative à la première question, le même article s'oppose-t-il à ce que la caution de l'utilisateur de services de paiement invoque, à raison des mêmes faits, la responsabilité civile de droit commun du prestataire de services de paiement, bénéficiaire du cautionnement, pour contester le montant de la dette garantie ? »

Sursoit à statuer sur le pourvoi jusqu'à ce que la Cour de justice se soit prononcée ;

Renvoie la cause et les parties à l'audience de formation de section du 8 décembre 2020 ;

Réserve les dépens ;

Dit qu'une expédition du présent arrêt ainsi qu'un dossier, comprenant notamment le texte de la décision attaquée, seront transmis par le directeur de greffe de la Cour de cassation au greffier de la Cour de justice de l'Union européenne ;