Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué ( Dijon, 29 novembre 2018), M. H..., engagé en qualité de conducteur routier par la société [...] en juillet 2010, a été licencié pour une cause qualifiée par l'employeur de réelle et sérieuse le 4 octobre 2013. Invoquant la commission d'une faute grave durant l'exécution du préavis, l'employeur a mis à pied le salarié à titre conservatoire le 24 octobre 2013, puis a mis fin au préavis le 12 novembre 2013.

2. Le salarié a saisi la juridiction prud'homale qui par jugement du 18 juin 2015 a dit que son licenciement était justifié par une cause réelle et sérieuse, que la décision de l'employeur de mettre fin au préavis pour faute grave était justifiée et a débouté le salarié de ses demandes.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa première branche, qui est recevable

Enoncé du moyen

3. Le salarié fait grief à l'arrêt de dire que son licenciement repose sur une faute grave et de le débouter de ses demandes en paiement de sommes à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, au titre du solde du préavis et des congés payés afférents, au titre de la mise à pied conservatoire et des congés payés afférents, alors « que la lettre de licenciement fixant les limites du litige, le juge ne peut aggraver la qualification de la faute retenue par l'employeur dans cette lettre ; qu'en disant que le licenciement prononcé à l'encontre de M. H... reposait sur une faute grave et en déboutant le salarié de l'intégralité de ses demandes, quand, dans la lettre de licenciement du 4 octobre 2013, la société [...] n'avait pas retenu la qualification de faute grave, mais la cause réelle et sérieuse en invoquant l'incohérence de M. H... dans le choix de ses trajets, des problèmes d'organisation du travail et des frais injustifiés, la faute grave n'étant évoquée que dans la lettre du 12 novembre 2013 par laquelle la société [...] avait informé M. H... de sa décision de mettre fin au préavis, la cour d'appel a violé l'article L. 1236-1 du code du travail. »

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 1232-6 du code du travail dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017 :

4. Il résulte de ce texte que la lettre de licenciement fixant les limites du litige, le juge ne peut aggraver la qualification de la faute retenue par l'employeur dans cette lettre.

5. Pour dire que le licenciement repose sur une faute grave et débouter le salarié de l'intégralité de ses demandes, l'arrêt retient que la faute grave commise par le salarié pendant la période du préavis justifie que soit requalifié en licenciement pour faute grave son licenciement pour cause réelle et sérieuse.

6. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 29 novembre 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Dijon ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Besançon ;

Condamne la société [...] aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société [...] et la condamne à payer à M. H... la somme de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du seize septembre deux mille vingt.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Jean-Philippe Caston, avocat aux Conseils, pour M. H...

Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR dit que le licenciement prononcé à l'encontre de M. H... reposait sur une faute grave et, en conséquence, d'AVOIR débouté M. H... de l'intégralité de ses demandes ;

AUX MOTIFS QUE par lettre du 4 octobre 2013, la société [...] a notifié à M. H... son licenciement pour cause réelle et sérieuse en invoquant : -l'incohérence dans le choix de ses trajets, -les problèmes d'organisation de son travail, -les frais injustifiés ; que par lettre recommandée avec avis de réception en date du 12 novembre 2013, faisant suite à un entretien du 6 novembre 2013, la société [...] a informé M. H... de cette décision de mettre fin à son préavis, pour faute grave, pour les motifs suivants : « le 24 octobre 2013, vous avez refusé, à 3 reprises, d'obtempérer aux consignes données par votre hiérarchie qui vous signifiait que votre journée était terminée et que vous pouviez rentrer chez vous, compte tenu de votre demande d'être libéré très tôt le vendredi 25 octobre. Vous avez refusé de quitter votre camion et de quitter l'entreprise. Vous avez ensuite pris en photo 2 salariés de l'entreprise sans leur demander leur accord en poussant la provocation jusqu'à leur demander de sourire. Votre comportement nous a obligés à faire intervenir la police (
) » ; qu'il est justifié par la société [...] que, le 18 octobre 2013, M. H... a déposé auprès d'elle un document intitulé : « demande d'autorisation ponctuelle de retour anticipé » aux termes duquel il souhaitait pouvoir rentrer exceptionnellement le vendredi 25 octobre 2013 pour 11 h 30 ; que cette demande a été acceptée par son chef de service ; qu'il n'est pas contesté par M. H... que son service se terminait le jeudi 24 octobre à 14 h 45 dans la mesure où, selon les explications non contestées de l'employeur, ce dernier ne disposait pas d'un transport compatible avec la nécessité, pour M. H... de terminer son travail de la semaine le vendredi 25 octobre à 11 h 30 ; que c'est dans ces conditions qu'il a été demandé à M. H... par son employeur d'arrêter son activité le 24 octobre, à son retour sur Saint-Dizier où se trouve le siège de l'entreprise, et de rentrer chez lui ce qui était conforme à son souhait ; que toutefois, alors qu'il se trouvait dans son camion stationné sur le parking de la société, M. H... a refusé, malgré la demande qui lui en a été faite, d'abord, vers 16 h 00, par Mme M..., responsable des ressources humaines et par M. L..., responsable exploitation transport, de sortir de son véhicule, en indiquant, ainsi que ceux-ci l'attestent, qu'il était en coupure jusqu'au lendemain midi, puis, environ deux heures plus tard, à nouveau par Mme M..., M. R... et M. B... devant lesquels il a fermé sa fenêtre, pris son téléphone et fermé les rideaux de sa cabine ; qu'ensuite, alors qu'ils se trouvaient toujours devant le camion et que Mme M... téléphonait à la police, il a ouvert les rideaux et sa fenêtre et les a pris en photo en leur demandant de sourire ; que M. H... explique son attitude en indiquant aux termes de ses écritures déposées à l'audience, qu'il souhaitait passer la nuit sur le parking de la société à bord de son camion pour partir le vendredi 25 octobre au matin car cela lui permettait de faire l'économie d'un aller-retour de son domicile au siège de la société pour récupérer son camion et le charger ; que cette explication n'a aucun sens dans la mesure où il avait été indiqué qu'il ne travaillerait pas le 25 octobre puisqu'il s'agissait très précisément de la journée au cours de laquelle il avait initialement demandé de pouvoir quitter son travail en fin de matinée, à 11 h 30, dans la mesure où il ne pouvait pas lui être confié de transport entre l'après-midi du jeudi et la fin de la matinée du vendredi ; qu'au surplus, M. H... qui se prévaut d'un usage en cours dans l'entreprise en vertu duquel d'autres chauffeurs dorment dans leur cabine alors qu'ils habitent à moins de 20 kilomètres du siège de la société, ne le prouve pas ; qu'en toute hypothèse, ce refus de la part de M. H... d'obéir à l'ordre qui lui était donné de quitter la cabine de son camion sans pouvoir fournir une quelconque justification de ce refus, caractérise de sa part un acte d'insubordination auquel s'est ajoutée une attitude de provocation vis-à-vis de son employeur ; que ce comportement caractérise un manquement grave de M. H... à ses obligations contractuelles rendant impossible son maintien dans l'entreprise ; que par suite, cette faute grave commise par M. H... pendant la période du préavis justifie que soit requalifié en licenciement pour faute grave son licenciement pour cause réelle et sérieuse qui lui avait été notifié le 4 octobre 2013 ; que M. H... doit être débouté de sa demande de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ; que la faute grave survenue postérieurement au licenciement faisant obstacle au versement de l'indemnité de préavis à compter de la date de mise à pied c'est-à-dire du 24 octobre 2013, M. H... doit être débouté de ses demandes au titre du solde de l'indemnité de préavis et de rappel de salaire durant la période de mise à pied conservatoire (v. arrêt, p. 2 à 4) ;

1°) ALORS QUE la lettre de licenciement fixant les limites du litige, le juge ne peut aggraver la qualification de la faute retenue par l'employeur dans cette lettre ; qu'en disant que le licenciement prononcé à l'encontre de M. H... reposait sur une faute grave et en déboutant le salarié de l'intégralité de ses demandes, quand, dans la lettre de licenciement du 4 octobre 2013, la société [...] n'avait pas retenu la qualification de faute grave, mais la cause réelle et sérieuse en invoquant l'incohérence de M. H... dans le choix de ses trajets, des problèmes d'organisation du travail et des frais injustifiés, la faute grave n'étant évoquée que dans la lettre du 12 novembre 2013 par laquelle la société [...] avait informé M. H... de sa décision de mettre fin au préavis, la cour d'appel a violé l'article L. 1236-1 du code du travail ;

2°) ALORS QUE les juges sont tenus de répondre aux conclusions des parties ; qu'au demeurant, en se bornant, pour dire que le licenciement prononcé à l'encontre de M. H... reposait sur une faute grave, à relever que, par une lettre du 4 octobre 2013, la société [...] avait notifié à M. H... son licenciement pour cause réelle et sérieuse en invoquant l'incohérence dans le choix de ses trajets, des problèmes d'organisation de son travail et des frais injustifiés et que le comportement du salarié le 24 octobre 2013, pendant son préavis, à savoir son refus d'obéir à l'ordre qui lui était donné de quitter la cabine de son camion, sans pouvoir fournir une quelconque justification, caractérisait de sa part un acte d'insubordination auquel s'était ajoutée une attitude de provocation vis-à-vis de son employeur, manquement grave aux obligations contractuelles rendant impossible le maintien dans l'entreprise et justifiant la requalification en licenciement pour faute grave le licenciement pour cause réelle et sérieuse, sans répondre aux conclusions de M. H... faisant valoir que, dans la lettre de licenciement du 4 octobre 2013, l'employeur lui reprochait des fautes commises à compter du 4 juin 2013, sur une période allant jusqu'au 12 juillet 2013, de sorte que l'ayant convoqué à un entretien préalable le 2 septembre 2013, il ne pouvait plus invoquer de prétendues fautes antérieures au 2 juillet 2013, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;

3°) ALORS QUE la faute grave est celle qui rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise ; que le fait pour un chauffeur poids lourds de vouloir dormir dans la cabine de son camion, outil de travail, n'est pas constitutif d'une faute grave ; que, de surcroît, en retenant l'existence d'une faute grave à raison de ce que le refus de la part du salarié d'obéir à l'ordre qui lui était donné de quitter la cabine de son camion, sans pouvoir fournir une quelconque justification de ce refus, caractérisait de sa part un acte d'insubordination, auquel s'était ajoutée une attitude de provocation vis-à-vis de son employeur, ce qui caractérisait un manquement grave de M. H... à ses obligations contractuelles rendant impossible son maintien dans l'entreprise, quand il n'en résultait aucune faute grave, la cour d'appel a violé les articles L. 1232-1, L. 1233-2, L. 1235-1 et L. 1235-9 du code du travail ;

4°) ALORS QUE les juges sont tenus de répondre aux conclusions des parties ; qu'enfin, en retenant de la sorte l'existence d'une faute grave à raison de ce que le refus de la part du salarié d'obéir à l'ordre qui lui était donné de quitter la cabine de son camion, sans pouvoir fournir une quelconque justification de ce refus, caractérisait de sa part un acte d'insubordination, auquel s'était ajoutée une attitude de provocation vis-à-vis de son employeur, ce qui caractérisait un manquement grave de M. H... à ses obligations contractuelles rendant impossible son maintien dans l'entreprise, sans en toute hypothèse répondre également aux conclusions de M. H... faisant valoir qu'il avait finalement obtempéré à la demande de son employeur en quittant la cabine du poids lourd, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile.