CAS SOC 3 Juin 2020 n° 18-19308

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Nîmes,15 mai 2018), Mme H... a été engagée par la société Comptoir cévenol du bois, le 22 septembre 2004, sur la base d'un contrat de qualification/BTS assistance de gestion, au niveau ACT 3 coefficient 135 de la convention collective nationale du négoce de bois d'oeuvre et de produits dérivés du 17 décembre 1996.

2. A compter du 1er septembre 2006, la relation contractuelle s'est poursuivie sans formalisation par écrit.

3. La salariée a, le 20 mai 2015, saisi la juridiction prud'homale d'une demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail ainsi que de diverses demandes en paiement au titre de l'exécution et de la rupture du contrat de travail.

4. La salariée a été licenciée le 12 août 2016.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

5. La salariée fait grief à l'arrêt de la débouter de sa demande de rappel de salaire pour heures supplémentaires et de congés payés afférents, alors « qu'en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié d'étayer sa demande par la production d'éléments suffisamment précis quant aux horaires effectivement réalisés pour permettre à l'employeur de répondre en fournissant ses propres éléments ; qu'en considérant que les éléments produits par la salariée, parmi lesquels figuraient notamment des plannings faisant apparaître, au moins à deux reprises, qu'elle avait accompli 50 heures de travail hebdomadaire, deux attestations de collègues corroborant les horaires hebdomadaires invoqués par la salariée, son agenda électronique, des feuilles de caisse faisant apparaître des ouvertures de caisse à 7 heures et des fermetures après 18 heures 30, un tableau récapitulatif des heures supplémentaires accomplies mensuellement de juin 2010 à décembre 2015, ne sont pas suffisamment fiables, concordants et précis pour permettre à l'employeur de répondre, la cour d'appel, qui a fait peser la charge de la preuve sur la seule salariée, a violé l'article L. 3171-4 du code du travail. »

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 3171-4 du code du travail :

6. Aux termes de l'article L. 3171-2, alinéa 1er, du code du travail, lorsque tous les salariés occupés dans un service ou un atelier ne travaillent pas selon le même horaire collectif, l'employeur établit les documents nécessaires au décompte de la durée de travail, des repos compensateurs acquis et de leur prise effective, pour chacun des salariés concernés. Selon l'article L. 3171-3 du même code, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, l'employeur tient à la disposition de l'inspecteur ou du contrôleur du travail les documents permettant de comptabiliser le temps de travail accompli par chaque salarié. La nature des documents et la durée pendant laquelle ils sont tenus à disposition sont déterminées par voie réglementaire.

7. Enfin, selon l'article L. 3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, l'employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié. Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l'appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. Si le décompte des heures de travail accomplies par chaque salarié est assuré par un système d'enregistrement automatique, celui-ci doit être fiable et infalsifiable.

8. Il résulte de ces dispositions, qu'en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l'ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires précitées. Après analyse des pièces produites par l'une et l'autre des parties, dans l'hypothèse où il retient l'existence d'heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l'importance de celles-ci et fixe les créances salariales s'y rapportant.

9. Pour débouter la salariée de sa demande de rappels de salaire pour heures supplémentaires et de congés payés afférents, l'arrêt retient qu'à défaut de plus amples explications fournies par la salariée, les éléments produits par l'intéressée pris dans leur ensemble, à savoir les plannings, les échanges de SMS professionnels, les attestations de collègues de travail et de clients, les fiches de présence, l'agenda électronique, les extraits de son ordinateur professionnel, l'impression écran de fichiers téléchargés ou créés avec les dates et les heures, les feuilles de caisse, le tableau récapitulatif des heures supplémentaires prétendument réalisées pendant 58 mois, soit de juin 2010 à février 2015, ne sont manifestement pas suffisamment fiables, concordants et précis pour permettre à l'employeur de répondre, qu'au surplus, ce dernier fait valablement observer qu'au cours de la relation contractuelle qui s'est poursuivie sur environ dix années, ni auprès de lui, ni dans les nombreux échanges versés aux débats auxquels a participé la salariée et qu'elle a partagés avec d'autres personnes et salariés de l'entreprise, elle n'a jamais fait état d'heures supplémentaires impayées préalablement à la saisine du conseil de prud'hommes, que la salariée ne contestant pas formellement avoir pu bénéficier d'horaires fluctuants, ni qu'elle jouissait d'une certaine liberté dans l'organisation de son travail, force est ainsi de constater qu'elle n'a pas réalisé des heures de travail supplémentaires, au-delà de ce qui lui a été réglé et qu'en tout état de cause, elle n'a pas obtenu l'autorisation, même implicite, de l'employeur pour accomplir les heures supplémentaires dont elle a réclamé tardivement le paiement devant le conseil de prud'hommes.

10. En statuant ainsi, la cour d'appel, qui a fait peser la charge de la preuve sur la seule salariée, a violé le texte susvisé.

Et sur le cinquième moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

11. La salariée fait grief fait à l'arrêt de la débouter de ses demandes de rappel de salaire et de congés payés afférents fondées sur sa reclassification au niveau ACT 6, coefficient 240, alors « qu' en considérant, pour rejeter la demande de complément de salaire au titre de sa classification conventionnelle, que sur toute la durée de la relation contractuelle, la salariée a perçu une prime mensuelle qui s'ajoutait à son salaire dont le montant cumulé excédait largement le traitement qu'elle aurait perçu en application du coefficient 240, sans préciser les modalités de calcul du salaire minimum conventionnel versé à la salariée, la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences de l'article 455 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 455 du code de procédure civile :

12. Selon ce texte, le jugement doit être motivé.

13. Pour débouter la salariée de ses demandes de rappel de salaire et de congés payés afférents fondées sur sa reclassification au niveau ACT 6, coefficient 240, l'arrêt retient que sur toute la durée de la relation contractuelle, l'intéressée a perçu une prime mensuelle qui s'ajoutait à son salaire, dont le montant cumulé excédait largement le traitement qu'elle aurait perçu en application du coefficient 240.

14. En statuant ainsi, sans préciser les modalités de calcul du salaire minimum conventionnel versé à la salariée, la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences du texte susvisé.

Portée et conséquences de la cassation

15. La cassation à intervenir sur le premier moyen entraîne, par voie de conséquence, la cassation des chefs de dispositif critiqués par les deuxième, troisième, quatrième et sixième moyens se rapportant au travail dissimulé par dissimulation d'emploi salarié, aux durées maximales hebdomadaires de travail, à la contrepartie obligatoire en repos compensateur, à la résiliation judiciaire du contrat de travail.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déboute Mme H... de ses demandes de rappel d'heures supplémentaires et de congés payés afférents, d'indemnité pour travail dissimulé, de dommages-intérêts pour non-respect des durées maximales hebdomadaires, d'indemnité pour contreparties obligatoires en repos et congés payés afférents au titre des heures supplémentaires non payées par la société Comptoir cévenol du bois, en ce qu'il la déboute de ses demandes de rappel de salaire et de congés payés afférents fondées sur sa reclassification au niveau ACT6, coefficient 240, et en ce qu'il la déboute de ses demandes de résiliation judiciaire de son contrat de travail, de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, d'indemnité compensatrice de préavis et de congés payés afférents, l'arrêt rendu le 15 mai 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Nîmes ;

Remet, sur ces points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Montpellier ;

Condamne la société Comptoir cévenol du bois aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Comptoir cévenol du bois et la condamne à payer à Mme H... la somme de 3 000 euros ;