Déclaration relative au projet de loi « organisant la sortie de l'état d'urgence sanitaire »

Assemblée plénière du 23 juin 2020 (adoption à 30 voix pour et 3 abstentions)

1. La CNCDH a pris connaissance du projet de loi « organisant la sortie de l'état d'urgence sanitaire » voté en première lecture le 17 juin par l'Assemblée nationale et par le Sénat le 22 juin, mais en des termes différents.

2. Contrairement à ce que son titre initial, qui faisait état de la « fin de l'état d'urgence sanitaire », pouvait laisser accroire, le projet de loi ne marque pas la fin de ce régime institué par la loi du 23 mars 2020 et prorogé par la loi du 11 mai 2020. En réalité, le projet de loi proroge l'état d'urgence sanitaire en Guyane et à Mayotte jusqu'au 30 octobre. De plus, la CNCDH constate qu'il établit en réalité un régime d'exception transitoire, non dénommé, résultant du maintien sur le reste du territoire national de certaines dispositions particulièrement attentatoires aux droits et libertés fondamentaux, notamment la liberté de manifestation et de réunion.

3. Certes, la CNCDH ne saurait sous-estimer les risques de « résurgence » de l'épidémie de covid-19 que le comité de scientifiques a noté dans ses avis du 2 et 8 juin sur le projet de loi. Elle ne peut toutefois que relever le paradoxe qu'il y a, d'une part, à lever l'état d'urgence sanitaire ainsi que le Conseil d'Etat y a invité le gouvernement dans son avis du 9 juin (1) au motif qu'au regard du « recul de l'épidémie » sa nouvelle prorogation ne serait pas aussi proportionnée à la situation et, d'autre part, à permettre au gouvernement « d'utiliser des outils de contrôle de l'épidémie mobilisés depuis mars 2020 sans avoir recours à l'état d'urgence », comme l'a souhaité le comité de scientifiques dans son avis du 8 juin. Il s'agit, sous couvert d'une sortie graduée de ce régime d'exception, de laisser à l'exécutif une partie des pouvoirs exorbitants du droit commun qui lui ont été attribués dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire.

4. La CNCDH ne peut que s'inquiéter de la prorogation par ce projet de loi de mesures particulièrement attentatoires aux droits et libertés qu'elle a déjà relevées dans son avis du 26 mai 2020. Elle souligne que ces dispositions ne satisfont pas aux exigences de sécurité juridique et d'intelligibilité des normes, constituant pourtant des objectifs de valeur constitutionnelle. Par exemple, elles ne déterminent pas clairement les établissements recevant du public et les lieux de réunion dont l'accès peut être restreint.

5. Le projet de loi habilite jusqu'au 30 octobre 2020 le Premier ministre à prendre nombre de mesures prévues dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire par l'article L. 3131-15 du code de la santé publique. Il pourra ainsi limiter la liberté de circuler, l'accès aux moyens de transports, l'accès aux lieux recevant du public, la liberté de manifestation, de réunion et de tout rassemblement sur la voie publique.

Dans sa version issue de l'examen en première lecture par l'Assemblée nationale, le projet de loi reconnaît expressément au gouvernement la possibilité de substituer à la déclaration des manifestations un régime d'autorisation préalable ; il rompt ainsi avec la tradition républicaine en portant atteinte à la liberté de manifester, qui est « une condition de la démocratie et l'une des garanties du respect d'autres droits et libertés […] tels que la liberté syndicale » (2). La CNCDH s'interroge quant à la conformité à la Constitution d'un tel dispositif. Elle note que le Sénat l'a supprimé en première lecture le 22 juin 2020. En outre, pour des raisons de santé publique, la durée de conservation des données à caractère personnel collectées par les systèmes d'information utilisés en vue de la lutte contre la covid-19 pourra également être prolongée de trois à six mois.

6. Au surplus, la CNCDH relève qu'il faut tenir compte, pour apprécier l'étendue des prérogatives de l'Exécutif à la sortie de l'état d'urgence sanitaire, des dispositions du code de la santé publique déjà en vigueur. Ainsi, le ministre de la santé pourra de nouveau exercer les pouvoirs qu'il tient de l'article L. 3131-1 de ce code. La CNCDH craint que ces dispositions, dont le Conseil d'Etat a relevé la conformité discutable à la Constitution (3), soient utilisées pour restreindre de nombreux droits fondamentaux par simple arrêté ministériel, comme cela a été le cas du 14 mars au 23 mars 2020 (4). Certes, le Sénat a adopté en première lecture un article additionnel modifiant l'article L. 3131-1 et restreignant le pouvoir réglementaire du ministre de la santé à l'adoption d'arrêtés relatifs à l'organisation et au fonctionnement du système de santé, mais contre l'avis du gouvernement qui souhaite le maintien en l'état de ce dernier article.

7. Chargée par la loi d'« appeler publiquement l'attention du Parlement et du Gouvernement sur les mesures qui lui paraissent de nature à favoriser la protection et la promotion des droits de l'homme » (5), la CNCDH estime que l'adoption d'un nouvel état d'exception, non dénommé, ne peut se faire sous couvert de sortie de l'état d'urgence sanitaire.

(1) CE avis 9 juin 2020, n° 400322.

(2) CE ord. 13 juin 2020, MA, LDH, CGT et autres, n° 440846, 440856, 441015, §10.

(3) CE avis 1er mai 2020, n° 400104.

(4) Ce dont la CNCDH s'est largement inquiété : lettre d'urgence du 19 mars 2002 ; avis du 28 avril 2020, JORF 3 mai, texte n° 49, §11 ; avis du 26 mai 2020, JORF 31 mai 2020, texte n° 108, §2.

(5) Loi n° 2007-292 du 5 mars 2007 relative à la Commission nationale consultative des droits de l'homme, art. 1er, al. 1.