Arrêt

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 25, paragraphe 1, du règlement (UE) no 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil, du 12 décembre 2012, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (JO 2012, L 351, p. 1), ainsi que de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs (JO 1993, L 95, p. 29).

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant, d’une part, Passenger Rights sp. z o.o., devenue DelayFix, établie à Varsovie (Pologne), société spécialisée dans le recouvrement de créances et à laquelle un passager aérien a cédé ses droits, à, d’autre part, la compagnie aérienne Ryanair DAC, établie à Dublin (Irlande), au sujet du versement d’une somme de 250 euros à titre d’indemnisation pour l’annulation d’un vol, sur le fondement du règlement (CE) no 261/2004 du Parlement européen et du Conseil, du 11 février 2004, établissant des règles communes en matière d’indemnisation et d’assistance des passagers en cas de refus d’embarquement et d’annulation ou de retard important d’un vol, et abrogeant le règlement (CEE) no 295/91 (JO 2004, L 46, p. 1).

 Le cadre juridique

 Le droit de l’Union

 La directive 93/13

3        Aux termes de l’article 1er, paragraphe 1, de la directive 93/13, cette dernière a pour objet de rapprocher les dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres relatives aux clauses abusives dans les contrats conclus entre un professionnel et un consommateur.

4        L’article 2 de cette directive dispose :

« Aux fins de la présente directive, on entend par :

[...]

b)      “consommateur” : toute personne physique qui, dans les contrats relevant de la présente directive, agit à des fins qui n’entrent pas dans le cadre de son activité professionnelle ;

[...] »

5        L’article 3 de ladite directive prévoit :

« 1.      Une clause d’un contrat n’ayant pas fait l’objet d’une négociation individuelle est considérée comme abusive lorsque, en dépit de l’exigence de bonne foi, elle crée au détriment du consommateur un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties découlant du contrat.

2.      Une clause est toujours considérée comme n’ayant pas fait l’objet d’une négociation individuelle lorsqu’elle a été rédigée préalablement et que le consommateur n’a, de ce fait, pas pu avoir d’influence sur son contenu, notamment dans le cadre d’un contrat d’adhésion.

Le fait que certains éléments d’une clause ou qu’une clause isolée aient fait l’objet d’une négociation individuelle n’exclut pas l’application du présent article au reste d’un contrat si l’appréciation globale permet de conclure qu’il s’agit malgré tout d’un contrat d’adhésion.

Si le professionnel prétend qu’une clause standardisée a fait l’objet d’une négociation individuelle, la charge de la preuve lui incombe.

3.      L’annexe contient une liste indicative et non exhaustive de clauses qui peuvent être déclarées abusives. »

6        L’article 4, paragraphe 1, de la même directive énonce :

« [...] le caractère abusif d’une clause contractuelle est apprécié en tenant compte de la nature des biens ou services qui font l’objet du contrat et en se référant, au moment de la conclusion du contrat, à toutes les circonstances qui entourent sa conclusion, de même qu’à toutes les autres clauses du contrat, ou d’un autre contrat dont il dépend. »

7        Aux termes de l’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13 :

« Les États membres prévoient que les clauses abusives figurant dans un contrat conclu avec un consommateur par un professionnel ne lient pas les consommateurs, dans les conditions fixées par leurs droits nationaux, et que le contrat restera contraignant pour les parties selon les mêmes termes, s’il peut subsister sans les clauses abusives. »

8        Le point 1, sous q), de l’annexe de ladite directive vise les « [c]lauses ayant pour objet ou pour effet [...] de supprimer ou d’entraver l’exercice d’actions en justice ou des voies de recours par le consommateur [...] ».

 Le règlement no 1215/2012

9        Le chapitre II du règlement no 1215/2012, intitulé « Compétence », contient dix sections. La section 1, intitulée « Dispositions générales », comprend l’article 4 de ce règlement, qui dispose, à son paragraphe 1 :

« Sous réserve du présent règlement, les personnes domiciliées sur le territoire d’un État membre sont attraites, quelle que soit leur nationalité, devant les juridictions de cet État membre. »

10      La section 2 de ce chapitre II, intitulée « Compétences spéciales », comprend l’article 7 dudit règlement, qui prévoit :

« Une personne domiciliée sur le territoire d’un État membre peut être attraite dans un autre État membre :

1)      a)      en matière contractuelle, devant la juridiction du lieu d’exécution de l’obligation qui sert de base à la demande ;

b)      aux fins de l’application de la présente disposition, et sauf convention contraire, le lieu d’exécution de l’obligation qui sert de base à la demande est :

[…]

–        pour la fourniture de services, le lieu d’un État membre où, en vertu du contrat, les services ont été ou auraient dû être fournis ;

[...] »

11      La section 4 dudit chapitre II, qui est intitulée « Compétence en matière de contrats conclus par les consommateurs », comprend l’article 17 du même règlement, qui dispose :

« [...]

3.      La présente section ne s’applique pas aux contrats de transport autres que ceux qui, pour un prix forfaitaire, combinent voyage et hébergement. »

12      Aux termes de l’article 25 du règlement n° 1215/2012, figurant à la section 7 du même chapitre II, intitulée « Prorogation de compétence » :

« 1.      Si les parties, sans considération de leur domicile, sont convenues d’une juridiction ou de juridictions d’un État membre pour connaître des différends nés ou à naître à l’occasion d’un rapport de droit déterminé, ces juridictions sont compétentes, sauf si la validité de la convention attributive de juridiction est entachée de nullité quant au fond selon le droit de cet État membre. Cette compétence est exclusive, sauf convention contraire des parties. La convention attributive de juridiction est conclue :

a)      par écrit ou verbalement avec confirmation écrite ;

b)      sous une forme qui soit conforme aux habitudes que les parties ont établies entre elles ; ou

c)      dans le commerce international, sous une forme qui soit conforme à un usage dont les parties ont connaissance ou étaient censées avoir connaissance et qui est largement connu et régulièrement observé dans ce type de commerce par les parties à des contrats du même type dans la branche commerciale considérée.

[...] »

 Le droit polonais

13      Selon l’article 509 du Kodeks cywilny (code civil), dans sa version applicable à l’affaire au principal :

« § 1.            Un créancier peut, sans le consentement du débiteur, céder la créance à un tiers (cession de créance), à moins que la loi, le contrat ou la nature de l’obligation ne s’y opposent.

§ 2.      La cession de créance comprend la cession de tous les droits y afférents, notamment au titre des intérêts de retard. »

 Le litige au principal et la question préjudicielle

14      Passenger Rights, société spécialisée dans le recouvrement des créances de passagers aériens, devenue DelayFix, a demandé au Sąd Rejonowy dla m. st. Warszawy w Warszawie (tribunal d’arrondissement de la ville de Varsovie, Pologne), de condamner la compagnie aérienne Ryanair, sur le fondement du règlement no 261/2004, au versement d’une somme de 250 euros à titre d’indemnisation pour l’annulation d’un vol entre Milan (Italie) et Varsovie, dont un passager lui a cédé sa créance à l’égard de cette compagnie aérienne.

15      Ryanair a opposé une exception d’incompétence des juridictions polonaises, au motif que la clause 2.4 de ses conditions générales de transport, contractées par ce passager lors de l’achat de son billet en ligne, stipule une compétence en faveur des juridictions irlandaises. Selon Ryanair, DelayFix, en tant que cessionnaire de la créance dudit passager, serait liée par cette clause.

16      Par ordonnance du 15 février 2019, le Sąd Rejonowy dla m. st. Warszawy w Warszawie (tribunal d’arrondissement de la ville de Varsovie) a rejeté cette exception d’incompétence, considérant que, d’une part, la clause attributive de juridiction figurant au contrat de transport liant le même passager et la compagnie aérienne était abusive, au sens de la directive 93/13, et, d’autre part, DelayFix, en tant que cessionnaire de la créance de celui-ci après l’annulation du vol, ne saurait être liée par une telle clause.

17      Ryanair a interjeté appel de cette ordonnance devant la juridiction de renvoi. Elle fait valoir que DelayFix n’étant pas un consommateur, cette dernière ne saurait bénéficier de la protection juridictionnelle prévue pour les contrats conclus avec les consommateurs.

18      La juridiction de renvoi précise que, selon les dispositions nationales et en l’état actuel de la jurisprudence du Sąd Najwyższy (Cour suprême, Pologne), le caractère abusif d’une clause contractuelle pourrait être constaté dans le cadre de l’examen d’une action en paiement introduite contre un débiteur par un professionnel qui a acquis la créance d’un consommateur.

19      Cependant, en premier lieu, cette juridiction demande si, au regard de l’article 3, paragraphe 1, et de l’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13, le cessionnaire de la créance d’un consommateur peut également être considéré comme un consommateur. Plus particulièrement, celle-ci éprouve des doutes sur la question de savoir si la cession par le consommateur de sa créance à un professionnel a pour effet de subroger ce dernier dans ses droits, en lui permettant de se prévaloir du régime favorable de l’Union en matière de protection des consommateurs qui découle notamment de cette directive.

20      En second lieu, les interrogations de la juridiction de renvoi concernent la jurisprudence de la Cour relative à l’application du règlement no 1215/2012, s’agissant du régime juridique des clauses attributives de juridiction, prévu à l’article 25 de ce règlement, ainsi que du régime particulier prévu à la section 4 du chapitre II dudit règlement, relative à la « compétence en matière de contrats conclus par les consommateurs », et, en particulier, la notion de « consommateur » figurant dans cette section.

21      S’agissant, d’une part, des clauses visées à l’article 25 du règlement no 1215/2012, cette juridiction souligne qu’il résulte de l’arrêt du 7 février 2013, Refcomp (C‑543/10, EU:C:2013:62), que ce type de clause insérée dans un contrat ne peut, en principe, produire ses effets que dans les rapports entre les parties qui ont donné leur accord à la conclusion de ce contrat. Une telle clause procéderait, en effet, d’un accord entre les parties et, pour qu’elle puisse être opposable à un tiers, il serait, en principe, nécessaire que celui‑ci ait donné son consentement à cet effet.

22      S’agissant, d’autre part, de la notion de « consommateur », au sens de la section 4 du chapitre II du règlement no 1215/2012, ladite juridiction souligne que le régime particulier institué aux articles 17 et suivants de ce règlement étant inspiré par le souci de protéger le consommateur en tant que partie au contrat réputée économiquement plus faible et juridiquement moins expérimentée que son cocontractant, le consommateur ne serait protégé qu’en tant qu’il est personnellement demandeur ou défendeur dans une procédure juridictionnelle. Dès lors, si le demandeur n’est pas lui‑même partie au contrat de consommation en cause, il ne saurait bénéficier du for du consommateur. Eu égard à la jurisprudence de la Cour, la même juridiction demande si, pour déterminer la compétence du juge et la validité d’une clause attributive de juridiction, il y a lieu de prendre en considération la nature « initiale » de l’obligation ou si le professionnel cessionnaire de la créance concernée peut contester cette clause en raison de son caractère abusif sur le fondement du régime de protection des consommateurs prévu notamment par la directive 93/13.

23      Dans ces conditions, le Sąd Okręgowy w Warszawie XXIII Wydział Gospodarczy Odwoławczy (tribunal régional de Varsovie, 23e division commerciale des recours, Pologne) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :

« L’article 2, sous b), l’article 3, paragraphes 1 et 2, et l’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13 [...] ainsi que l’article 25 du règlement [no 1215/2012] doivent-ils être interprétés, dans le contexte de l’examen de la validité d’une convention attributive de juridiction, en ce sens que l’absence de négociation individuelle des clauses contractuelles et le caractère abusif des clauses contractuelles découlant de la convention attributive de juridiction peuvent également être invoqués par le cessionnaire final d’une créance qui lui a été cédée par un consommateur, lequel cessionnaire ne possède toutefois pas lui‑même la qualité de consommateur ? »

 Sur la demande de Ryanair d’ouverture de la phase orale de la procédure

24      Par demande du 4 novembre 2020, parvenue au greffe de la Cour le même jour, Ryanair a demandé, sur le fondement de l’article 83 du règlement de procédure de la Cour, l’ouverture de la phase orale de la procédure en faisant valoir que les circonstances visées par la décision de renvoi n’auraient pas été suffisamment expliquées, qu’un débat approfondi serait nécessaire, et que la résolution de la présente affaire pourrait exercer une influence décisive sur l’interprétation des dispositions pertinentes du droit de l’Union.

25      Il importe de rappeler que, conformément à cette disposition, la Cour peut, d’office ou sur proposition de l’avocat général, ou encore à la demande des parties, ordonner l’ouverture ou la réouverture de la procédure orale, si elle considère notamment qu’elle est insuffisamment éclairée ou que l’affaire doit être tranchée sur la base d’un argument qui n’a pas été débattu entre les parties.

26      En l’occurrence, les conditions établies par ladite disposition ne sont pas remplies.

27      En effet, la juridiction de renvoi a suffisamment exposé les circonstances factuelles ainsi que le cadre réglementaire national. De même, la phase écrite de la procédure devant la Cour a déjà permis aux parties d’exprimer leurs positions. Par ailleurs, la demande de décision préjudicielle ne nécessite nullement d’être tranchée sur la base d’arguments qui n’auraient pas été débattus entre les parties.

28      Par conséquent, il convient, l’avocat général entendu, de ne pas faire droit à la demande de Ryanair d’ouvrir la phase orale de la procédure.

 Sur la question préjudicielle

 Sur la recevabilité de la demande de décision préjudicielle

29      Lors de la phase écrite de la procédure, Ryanair a indiqué avoir payé la somme demandée à l’origine du différend dont la juridiction de renvoi est saisie. La demande de décision préjudicielle serait par conséquent devenue sans objet.

30      Interrogée à cet égard par la Cour, cette juridiction indique que l’affaire au principal a été jointe à deux autres affaires, qui impliquent les parties au principal et ont pour objet des demandes indemnitaires également présentées sur le fondement du règlement no 261/2004, de telle sorte qu’un litige est toujours pendant devant elle.

31      Il ressort à la fois des termes et de l’économie de l’article 267 TFUE que la procédure préjudicielle présuppose qu’un litige soit effectivement pendant devant les juridictions nationales, dans le cadre duquel elles sont appelées à rendre une décision susceptible de prendre en considération la décision préjudicielle. En effet, la justification du renvoi préjudiciel est non pas la formulation d’opinions consultatives sur des questions générales ou hypothétiques, mais le besoin inhérent à la solution effective d’un contentieux (voir, en ce sens, arrêt du 27 février 2014, Pohotovosť, C‑470/12, EU:C:2014:101, points 28 et 29 ainsi que jurisprudence citée).

32      En l’occurrence, il y a lieu de relever que l’affaire au principal a été jointe à deux autres affaires, dont il n’est pas établi devant la Cour que les demandes indemnitaires ont été réglées, de telle sorte qu’il convient de considérer que le litige au principal est toujours pendant devant la juridiction de renvoi.

33      Dans la mesure où la procédure instituée par l’article 267 TFUE est un instrument de coopération entre la Cour et les juridictions nationales, grâce auquel la première fournit aux secondes les éléments d’interprétation du droit de l’Union qui leur sont nécessaires pour la solution du litige qu’elles sont appelées à trancher, une telle indication d’une juridiction nationale lie la Cour et ne saurait, en principe, être remise en cause par les parties au principal (arrêt du 27 février 2014, Pohotovosť, C‑470/12, EU:C:2014:101, point 30 et jurisprudence citée).

34      Partant, la demande de décision préjudicielle est recevable.

 Sur le fond

35      Par la question posée, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 25 du règlement no 1215/2012 ainsi que l’article 2, sous b), l’article 3, paragraphes 1 et 2, et l’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13 doivent être interprétés en ce sens que, pour contester la compétence d’une juridiction pour connaître d’un recours indemnitaire formé sur le fondement du règlement no 261/2004 et dirigé contre une compagnie aérienne, une clause attributive de juridiction insérée dans un contrat de transport entre un passager et cette compagnie aérienne peut être opposée par cette dernière à une société de recouvrement à laquelle le passager a cédé sa créance.

36      La réponse à cette question implique de déterminer à quelles conditions une telle clause attributive de juridiction peut lier la société de recouvrement à laquelle le passager a cédé sa créance.

37      Si les interrogations de la juridiction de renvoi relatives à la clause attributive de juridiction en cause au principal visent à la fois la directive 93/13 et le règlement n° 1215/2012, le régime juridique de ce type de clause étant déterminé par l’article 25 de ce règlement, il convient de commencer par examiner la question posée au regard de celui-ci.

38      Selon une jurisprudence constante, la notion de clause attributive de juridiction doit être interprétée comme une notion autonome du droit de l’Union et donner au principe de l’autonomie de la volonté, sur lequel est fondé l’article 25, paragraphe 1, du règlement no 1215/2012, sa pleine application (voir, en ce sens, arrêts du 10 mars 1992, Powell Duffryn, C‑214/89, EU:C:1992:115, point 14 ; du 9 décembre 2003, Gasser, C‑116/02, EU:C:2003:657, point 51 et jurisprudence citée, ainsi que du 7 février 2013, Refcomp, C‑543/10, EU:C:2013:62, points 22 et 40 ainsi que jurisprudence citée).

39      En particulier, la circonstance que le contrat concerné a été conclu en ligne n’est pas susceptible, en soi, d’invalider une telle clause, sous réserve du respect des conditions, énoncées dans la jurisprudence de la Cour, relatives, notamment, à la conservation du texte dans laquelle cette clause est stipulée (voir, en ce sens, arrêt du 21 mai 2015, El Majdoub, C‑322/14, EU:C:2015:334, point 40).

40      Par ailleurs, l’article 25, paragraphe 1, du règlement no 1215/2012 ne précise pas si une clause attributive de juridiction peut être cédée, au‑delà du cercle des parties à un contrat, à un tiers, partie à un contrat ultérieur et successeur, en tout ou partie, aux droits et aux obligations de l’une des parties au contrat initial (arrêts du 7 février 2013, Refcomp, C‑543/10, EU:C:2013:62, point 25, et du 20 avril 2016, Profit Investment SIM, C‑366/13, EU:C:2016:282, point 23). 

41      Ainsi, le juge saisi a l’obligation d’examiner, in limine litis, si la clause attributive de juridiction a effectivement fait l’objet d’un consentement entre les parties, qui doit se manifester d’une manière claire et précise, les formes exigées à l’article 25, paragraphe 1, du règlement no 1215/2012 ayant, à cet égard, pour fonction d’assurer que le consentement soit effectivement établi (voir, en ce sens, arrêts du 7 février 2013, Refcomp, C‑543/10, EU:C:2013:62, point 27 et jurisprudence citée, ainsi que du 8 mars 2018, Saey Home & Garden, C‑64/17, EU:C:2018:173, point 25 et jurisprudence citée).

42      Il s’ensuit que, en principe, une clause attributive de juridiction insérée dans un contrat ne peut produire ses effets que dans les rapports entre les parties qui ont donné leur accord à la conclusion de ce contrat (arrêts du 7 février 2013, Refcomp, C‑543/10, EU:C:2013:62, point 29, et du 28 juin 2017, Leventis et Vafeias, C‑436/16, EU:C:2017:497, point 35 ainsi que jurisprudence citée).

43      En l’occurrence, la clause attributive de juridiction au principal est opposée non pas à une partie au contrat dans lequel celle-ci figure, mais à un tiers à ce contrat.

44      Or, si ni Passenger Rights ni DelayFix, qui a succédé à celle-ci, n’a consenti à être liée à Ryanair par une clause attributive de juridiction, cette compagnie aérienne n’a pas davantage consenti à être liée à cette société de recouvrement par une telle clause.

45      De surcroît, ni les parties au principal ni la juridiction de renvoi ne font état d’éléments ou d’indices permettant de considérer que les parties auraient, sous l’une des formes prévues à l’article 25, paragraphe 1, sous b) et c), du règlement no 1215/2012, conclu une convention attributive de juridiction contenant une clause de prorogation de compétence, telle que celle au principal.

46      Il résulte, dès lors, de ce qui précède que, pour contester la compétence d’une juridiction pour connaître d’un recours indemnitaire formé sur le fondement du règlement no 261/2004 et dirigé contre une compagnie aérienne, une clause attributive de juridiction insérée dans le contrat de transport entre un passager et cette compagnie aérienne ne peut, en principe, être opposée par cette dernière à une société de recouvrement à laquelle le passager a cédé sa créance.

47      Ce n’est que dans le cas où, conformément au droit national applicable au fond, le tiers aurait succédé au contractant initial dans tous ses droits et obligations qu’une clause attributive de juridiction à laquelle ce tiers n’a pas consenti pourrait néanmoins le lier (voir, en ce sens, arrêt du 21 mai 2015, CDC Hydrogen Peroxide, C‑352/13, EU:C:2015:335, point 65 et jurisprudence citée).

48      La question posée par la juridiction de renvoi suppose également de déterminer les conditions de validité d’une telle clause.

49      Selon l’article 25, paragraphe 1, du règlement no 1215/2012, les juridictions désignées dans la clause attributive de juridiction sont compétentes, sauf si la validité de la convention attributive de juridiction est entachée de nullité quant au fond, « selon le droit de cet État membre ». Le législateur de l’Union a ainsi introduit la règle selon laquelle la validité d’une clause attributive de juridiction s’apprécie en vertu de la législation de l’État dont les juridictions sont désignées dans cette clause.

50      En l’occurrence, si la juridiction de renvoi examine la validité de la clause attributive de juridiction, il lui appartient, par conséquent, de le faire au regard de la législation de l’État dont les juridictions sont désignées dans cette clause, c’est-à-dire au regard du droit irlandais.

51      Par ailleurs, il incombe à la juridiction saisie d’un litige, tel que celui au principal, d’appliquer la législation de l’État dont les juridictions sont désignées dans ladite clause, en interprétant cette législation conformément au droit de l’Union, et notamment à la directive 93/13 (voir, en ce sens, arrêts du 21 avril 2016, Radlinger et Radlingerová, C‑377/14, EU:C:2016:283, point 79, ainsi que du 17 mai 2018, Karel de Grote – Hogeschool Katholieke Hogeschool Antwerpen, C‑147/16, EU:C:2018:320, point 41).

52      À cet égard, en premier lieu, il importe de souligner que, concernant les relations entre la directive 93/13 et les droits de passagers aériens tels que ceux issus du règlement no 261/2004, la Cour a jugé que la directive 93/13 constitue une réglementation générale de protection des consommateurs, qui a vocation à s’appliquer dans tous les secteurs d’activité économique, y compris dans celui du transport aérien (voir, en ce sens, arrêt du 6 juillet 2017, Air Berlin, C‑290/16, EU:C:2017:523, point 44 et jurisprudence citée).

53      En deuxième lieu, il importe de relever que, dans des circonstances analogues à celles au principal de cession de créances à une société de recouvrement, la Cour a jugé, s’agissant de la directive 2008/48/CE du Parlement européen et du Conseil, du 23 avril 2008, concernant les contrats de crédit aux consommateurs et abrogeant la directive 87/102/CEE du Conseil (JO 2008, L 133, p. 66), que le fait que les litiges en cause dans ces affaires opposaient uniquement des professionnels ne faisait pas obstacle à l’application d’un instrument relevant du droit de la consommation de l’Union, dans la mesure où le champ d’application de cette directive dépend non pas de l’identité des parties au litige en cause, mais de la qualité des parties au contrat (voir, en ce sens, arrêt du 11 septembre 2019, Lexitor, C‑383/18, EU:C:2019:702, point 20).

54      Il y a lieu de transposer cette jurisprudence s’agissant de l’application de la directive 93/13. 

55      En effet, selon l’article 1er, paragraphe 1, et l’article 3, paragraphe 1, de la directive 93/13, cette dernière s’applique aux clauses figurant dans des contrats conclus entre un professionnel et un consommateur qui n’ont pas fait l’objet d’une négociation individuelle [arrêts du 7 novembre 2019, Profi Credit Polska, C‑419/18 et C‑483/18, EU:C:2019:930, point 51 et jurisprudence citée, ainsi que du 10 septembre 2020, A (Sous-location d’un logement social), C‑738/19, EU:C:2020:687, point 34].

56      En l’occurrence, le contrat de transport, sur lequel la créance dont se prévaut DelayFix est fondée, a initialement été conclu entre un professionnel, à savoir la compagnie aérienne, et un passager, et rien n’indique que ce dernier ait acheté son billet d’avion à des fins autres que privées.

57      En troisième lieu, il convient de rappeler que, en vertu de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 93/13, une clause est considérée comme abusive lorsque, en dépit de l’exigence de bonne foi, elle crée au détriment du consommateur un déséquilibre significatif entre les droits et les obligations des parties découlant du contrat concerné.

58      À cet égard, la Cour a itérativement jugé qu’une clause attributive de juridiction, qui est insérée dans un contrat conclu entre un consommateur et un professionnel sans avoir fait l’objet d’une négociation individuelle et qui confère une compétence exclusive à la juridiction dans le ressort de laquelle est situé le siège de ce professionnel, doit être considérée comme abusive, au sens de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 93/13, dans la mesure où, en dépit de l’exigence de bonne foi, elle crée, au détriment du consommateur concerné, un déséquilibre significatif entre les droits et les obligations des parties découlant de ce contrat (voir, en ce sens, arrêts du 27 juin 2000, Océano Grupo Editorial et Salvat Editores, C‑240/98 à C‑244/98, EU:C:2000:346, point 24 ; du 4 juin 2009, Pannon GSM, C‑243/08, EU:C:2009:350, point 40, ainsi que du 9 novembre 2010, VB Pénzügyi Lízing, C‑137/08, EU:C:2010:659, point 53).

59      En effet, une telle clause entre dans la catégorie de celles ayant pour objet ou pour effet de supprimer ou d’entraver l’exercice d’actions en justice, catégorie visée au point 1, sous q), de l’annexe de cette directive (arrêts du 27 juin 2000, Océano Grupo Editorial et Salvat Editores, C‑240/98 à C‑244/98, EU:C:2000:346, point 22 ; du 4 juin 2009, Pannon GSM, C‑243/08, EU:C:2009:350, point 41, ainsi que du 9 novembre 2010, VB Pénzügyi Lízing, C‑137/08, EU:C:2010:659, point 54).

60      Dans ce contexte, le caractère abusif d’une clause contractuelle est apprécié en tenant compte de la nature des services qui font l’objet du contrat concerné et en se référant à toutes les circonstances qui entourent la conclusion de celui-ci, conformément à l’article 4, paragraphe 1, de la directive 93/13.

61      Ainsi, il incombe à la juridiction nationale, saisie d’un litige tel que celui au principal, en application de la législation de l’État dont les juridictions sont désignées dans une clause attributive de juridiction, et en interprétant cette législation conformément aux exigences de la directive 93/13, de tirer les conséquences en droit de l’éventuel caractère abusif d’une telle clause, étant donné qu’il découle du libellé de l’article 6, paragraphe 1, de cette directive que les juges nationaux sont tenus d’écarter l’application d’une clause contractuelle abusive afin qu’elle ne produise pas d’effets contraignants.

62      Il y a lieu, enfin, de souligner que, conformément à une jurisprudence constante, en vertu de l’article 7, point 1, sous b), du règlement n° 1215/2012, et s’agissant de vols directs, que tant le lieu de départ que le lieu d’arrivée de l’avion doivent être considérés, au même titre, comme les lieux de fourniture principale des services faisant l’objet d’un contrat de transport aérien, conférant ainsi à l’auteur d’un recours en indemnisation, introduit sur le fondement du règlement no 261/2004, le choix d’introduire son recours devant la juridiction dans le ressort de laquelle se trouve soit le lieu de départ soit le lieu d’arrivée de l’avion, tels que ces lieux sont convenus dans ledit contrat (voir, en ce sens, arrêt du 9 juillet 2009, Rehder, C‑204/08, EU:C:2009:439, point 47, ainsi que ordonnance du 13 février 2020, flightright, C‑606/19, EU:C:2020:101, point 26).

63      Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de répondre à la question posée que l’article 25 du règlement no 1215/2012 doit être interprété en ce sens que, pour contester la compétence d’une juridiction pour connaître d’un recours indemnitaire formé en vertu du règlement no 261/2004 et dirigé contre une compagnie aérienne, une clause attributive de juridiction insérée dans un contrat de transport conclu entre un passager et cette compagnie aérienne ne peut être opposée par cette dernière à une société de recouvrement à laquelle le passager a cédé sa créance, à moins que, selon la législation de l’État dont les juridictions sont désignées dans cette clause, cette société de recouvrement n’ait succédé au contractant initial dans tous ses droits et obligations, ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier. Le cas échéant, une telle clause, qui est insérée sans avoir fait l’objet d’une négociation individuelle dans un contrat conclu entre un consommateur, à savoir le passager aérien, et un professionnel, à savoir ladite compagnie aérienne, et qui confère une compétence exclusive à la juridiction dans le ressort de laquelle le siège de celle-ci est situé, doit être regardée comme abusive, au sens de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 93/13.

 Sur les dépens

64      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (première chambre) dit pour droit :

L’article 25 du règlement (UE) no 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil, du 12 décembre 2012, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, doit être interprété en ce sens que, pour contester la compétence d’une juridiction pour connaître d’un recours indemnitaire formé sur le fondement du règlement (CE) no 261/2004 du Parlement européen et du Conseil, du 11 février 2004, établissant des règles communes en matière d’indemnisation et d’assistance des passagers en cas de refus d’embarquement et d’annulation ou de retard important d’un vol, et abrogeant le règlement (CEE) no 295/91, et dirigé contre une compagnie aérienne, une clause attributive de juridiction insérée dans un contrat de transport conclu entre un passager et cette compagnie aérienne ne peut être opposée par cette dernière à une société de recouvrement à laquelle le passager a cédé sa créance, à moins que, selon la législation de l’État dont les juridictions sont désignées dans cette clause, cette société de recouvrement n’ait succédé au contractant initial dans tous ses droits et obligations, ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier. Le cas échéant, une telle clause, qui est insérée sans avoir fait l’objet d’une négociation individuelle dans un contrat conclu entre un consommateur, à savoir le passager aérien, et un professionnel, à savoir ladite compagnie aérienne, et qui confère une compétence exclusive à la juridiction dans le ressort de laquelle le siège de celle-ci est situé, doit être regardée comme abusive, au sens de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs.