EN FAIT

1.  Le requérant, M. Cyril Astruc, est un ressortissant français né en 1973 qui a été détenu à la maison d’arrêt de Fresnes. Il est représenté devant la Cour par Me P. Spinosi, avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation.

2.  Le gouvernement français (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, M. F. Alabrune, directeur des affaires juridiques du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères.

A.  Les circonstances de l’espèce

3.  Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par le requérant, peuvent se résumer comme suit.

4.  Le requérant faisait l’objet de cinq mandats de dépôt, dans le cadre de d’informations judiciaires ouvertes à son encontre. Plusieurs d’entre elles concernaient des fraudes à la taxe carbone, lesquelles auraient consisté en un détournement de 146 millions d’euros via une société qui achetait et vendait des quotas de droits à polluer sans reverser la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) à l’État français. Il était incarcéré à la maison d’arrêt de Fresnes depuis le 10 janvier 2014 dans le cadre de l’une de ces affaires.

5.  Par un courrier du 26 mars 2014, l’administration pénitentiaire informa le juge d’instruction chargé de l’information judiciaire que les écoutes téléphoniques pratiquées en détention avaient permis d’identifier les contacts extérieurs dont le requérant se servait pour obtenir des services. Il ressortait de ce courrier ce qui suit :

« (...) un renseignement très fiable de la détention était communiqué concernant l’utilisation d’un numéro de téléphone pour le compte de la personne détenue C. Astruc. Selon cette source, ce numéro de téléphone permettrait à Madame (...) d’entrer en contact avec des complices de la personne détenue C. Astruc. De fortes sommes d’argent auraient été remises à Madame (...) pour le compte de la personne détenue C. Astruc. Madame (...) est la compagne de la personne détenue codétenu de la personne détenue C. Astruc.

Au regard de son profil décrit dans la presse et des quatre mandats de dépôts décernés à son encontre notamment pour escroquerie réalisée en bande organisée, blanchiment en bande organisée, corruption active, trafic d’influence actif, une fouille de la cellule occupée était diligentée. Elle permettait la découverte d’un lecteur dvd, de deux bouteilles de parfum « L’homme d’Yves Saint Laurent » d’une bouteille après rasage (...) contenant de l’alcool interdit en détention.

Après vérifications, des écoutes téléphoniques de détention utilisées pour la personne détenue, il apparaît que des précautions avaient été prises pour changer ce numéro de téléphone. Ainsi mardi 5 mars 2014, un nouveau renseignement très fiable était communiqué concernant l’utilisation d’un nouveau numéro de téléphone pour le compte de la personne détenue C. Astruc (...) ».

6.  Le 8 avril 2014, le requérant fut placé à l’isolement à titre provisoire pour avoir été trouvé en possession, à nouveau, d’objets ne pouvant pas être achetés dans la prison (produits d’hygiène corporelle, corbeille à pain et une housse de couette). La décision de placement lui fut notifiée et il put présenter des observations écrites.

 

7.  Le 11 avril 2014, sur le fondement des articles R. 57-7-62 et suivants du code de procédure pénale (ci-après CPP, paragraphe 27 à 29 ci-dessous), et après un débat contradictoire, en présence de l’un de ses cinq avocats, au cours duquel le requérant reconnut détenir les objets litigieux, le chef d’établissement pénitentiaire décida son placement à l’isolement du 12 avril 2014 au 12 juillet 2014, afin de « prévenir la réitération de ces introductions frauduleuses d’objets ». Compte tenu de la reconnaissance des faits par le requérant, de ce qu’il avait été placé sous mandat de dépôt « pour entre autres corruption active (proposition ou fourniture d’avantages à une personne dépositaire de l’autorité publique) », ainsi que de la surveillance dont il avait fait l’objet par l’administration faisant état que ses capacités financières importantes lui permettaient de détourner les règles en vigueur dans le centre pénitentiaire et d’obtenir des services en provenance de l’extérieur, le placement à l’isolement fut considéré comme l’unique moyen de garantir la sécurité des personnes et de prévenir tout risque de trouble en détention.

 

8.  Le 13 avril 2014, le requérant saisit le juge des référés administratifs sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice administrative (ci‑après CJA, paragraphe 26 ci-dessous) aux fins de voir suspendre l’exécution de cette décision. Il fit valoir qu’il souffrait de claustrophobie et de troubles du sommeil, ainsi que d’une perte de repères spatio-temporels, aggravés par son placement à l’isolement.

 

9.  Par une ordonnance du 15 avril 2014, confirmée par le Conseil d’État le 23 avril 2014, le juge des référés rejeta la requête comme étant dépourvue de caractère d’urgence. Le juge indiqua que l’exécution d’une décision de placement à l’isolement d’un détenu ne traduisait pas, par elle-même, l’existence d’une situation d’urgence. Examinant ensuite in concreto la gravité des troubles invoqués par le requérant, il considéra que ni les éléments recueillis dans le cadre de l’instruction, ni ceux fournis par le requérant n’établissaient la réalité des troubles psychologiques et psychiques qu’il présenterait depuis son incarcération, non plus que l’aggravation de ces troubles depuis son placement à l’isolement.

 

10.  Le 18 avril 2014, une psychologue officiant au sein du centre de soins du centre pénitentiaire rédigea une attestation faisant état d’un suivi psychologique du requérant initié le 14 mars 2014. Cette attestation relève l’existence chez le requérant d’une fragilité thymique exacerbée par le placement en isolement, d’une fragilité narcissique et d’un sentiment de vulnérabilité, lui aussi accentué par l’isolement. Elle précise que le rythme des entretiens psychologiques et infirmiers a été doublé à partir du placement en isolement. Elle conclut : « le requérant montre une évolution certaine concernant sa capacité de remise en question, même si l’expression des affects reste encore précaire à ce jour ».

 

11.  Le 30 avril 2014, le requérant fut admis à l’unité psychiatrique d’hospitalisation (UPH) de la prison et se vit appliquer un protocole dit de mise en cellule d’isolement médical.

 

12.  Le même jour, l’avocat du requérant demanda au chef d’établissement la suspension de la mesure de placement à l’isolement en faisant valoir les conséquences de celle-ci sur l’état de santé du requérant.

 

13.  Le requérant ressortit de l’UPH le surlendemain, à sa demande, et fut replacé à l’isolement.

 

14.  Le 5 mai 2014, le requérant présenta une nouvelle demande de suspension de l’exécution de la décision le plaçant à l’isolement. Il fit notamment valoir que son état de santé s’était considérablement dégradé depuis son précédent recours et que la détention de produits d’hygiène et autres ne saurait constituer un risque pour l’établissement pénitentiaire ou les personnes.

 

15.  Par une ordonnance du même jour, le juge des référés rejeta la requête :

« [l’] hospitalisation [du requérant] en secteur psychiatrique du centre pénitentiaire n’a duré que trois jours ; (...) [le requérant] ne produit aucun certificat émanant d’un psychiatre ou d’un médecin généraliste attestant que son hospitalisation devrait perdurer et [qu’il] n’est pas apte à reprendre la détention à l’isolement dans les conditions qui sont actuellement les siennes ; (...) le seul certificat qu’il produit est celui d’une psychologue du centre pénitentiaire de Fresnes, qui atteste que le requérant bénéficie d’un suivi psychologique au rythme d’une séance hebdomadaire, porté à deux séances depuis sa mise à l’isolement ; (...) sa compliance à ces séances permet une évolution certaine de son état ; qu’il n’est ainsi pas décrit une évolution défavorable de son état (...) »

16.  Le 9 mai 2014, le chef d’établissement rejeta la demande de l’avocat du requérant datée du 30 avril, au motif notamment, d’une part, qu’aucun médecin ne l’avait « saisi de la nécessité d’aménager ses conditions de détention » et, d’autre part, que s’il avait été admis le soir du 30 avril à l’UPH, il en était ressorti le jour ouvrable suivant, à la suite à son évaluation par le médecin psychiatre.

 

17.  Le 21 mai 2014, le requérant fit appel de l’ordonnance du 5 mai 2014. Il soutint que le juge avait commis une erreur de droit en mettant à sa charge la preuve de son état de santé et en estimant que la condition d’urgence n’était pas remplie sans avoir recherché si la mesure ne constituait pas par elle-même un traitement inhumain ou dégradant.

 

18.  Dans un courrier du 16 juin 2014, le chef de l’établissement informa le juge d’instruction de la gestion de la détention du requérant. Il lui fit part de la vigilance particulière dont ce dernier faisait l’objet au vu de « la sensibilité de son profil ». Il ajouta que d’autres saisies d’objets interdits en détention avaient été effectuées dans sa cellule, que le requérant bénéficiait de très nombreuses visites de ses conseils et d’aumôniers, de remises de colis de denrées alimentaires et qu’il achetait des produits en cantine dans des quantités telles (« entre février et avril 2014, il a cantiné chaque mois entre 1 626 euros et 1 988 euros ») qu’il avait fallu prévoir un stockage dans une autre cellule. Il précisa qu’à l’occasion de la visite de l’un de ses conseils au quartier d’isolement, celui-ci s’était présenté avec des écouteurs, un lecteur de musique mp3 et un flacon de parfum détectés à la suite du déclenchement du portique de sécurité et il lui avait été demandé de déposer ces objets avant de voir le requérant.

 

19.  Le 17 juin 2014, le requérant fut condamné disciplinairement à un confinement en cellule de détention ordinaire pendant sept jours en raison de la présence dans sa cellule d’une clé USB ne pouvant pas être achetée dans la prison.

 

20.  Dans un courrier du même jour adressé au directeur interrégional des services pénitentiaires de Paris, le chef d’établissement indiqua qu’il envisageait de lever la mesure d’isolement si le comportement du requérant évoluait favorablement. Il précisa qu’il se déciderait au terme de l’exécution de la sanction disciplinaire précitée.

 

21.  Le 23 juin 2014, soit avant le terme prévu, le directeur du centre pénitentiaire décida la levée de la mesure d’isolement, estimant que le requérant avait compris la nécessité de se conformer aux règles en détention et qu’il ne représentait plus un danger pour la sécurité de l’établissement.

 

22.  Il ressort des pièces fournies par le Gouvernement que le requérant a bénéficié de quatorze consultations médicales et qu’il a été vu sept fois par un psychologue au cours de son isolement.

 

23.  Le 23 juillet 2014, le Conseil d’État déclara non admis le pourvoi du requérant contre l’ordonnance du 5 mai 2014.

 

24.  Le 13 septembre 2017, le requérant fut condamné par le tribunal correctionnel de Paris à neuf ans de prison et un million d’euros d’amende dans l’affaire des fraudes à la taxe carbone. Le 9 septembre 2019, la cour d’appel de Paris porta la peine du requérant à dix ans de prison. En fuite, depuis sa remise en liberté en 2015, le requérant ne se présenta pas aux deux audiences. La cour d’appel a maintenu le mandat d’arrêt émis contre lui.

B.  Le droit interne pertinent

25.  Les dispositions relatives à l’isolement par mesure de précaution et de sécurité (appelé parfois isolement à titre préventif) dont a fait l’objet le requérant sont réglementées par les articles 726-1 et R. 57-7-62 du CPP (paragraphes 26 à 32 ci-dessous). Cet isolement est différent d’autres formes d’isolement, comme l’isolement à titre disciplinaire. Il se distingue de celui-ci notamment sur le plan de la durée et du régime de détention. Il peut être décidé pour une période de trois mois renouvelable (paragraphes 26, 27 et 29 ci-dessous ; à titre de comparaison, la mise en cellule disciplinaire peut être prononcée pour une durée variant entre sept et vingt jours selon le degré de gravité des fautes (article R 57-7-47 du CPP)). Son régime de détention diffère du régime ordinaire essentiellement par l’interdiction de participer aux activités organisées de façon collective (paragraphe 27 ci-dessous).

 

26.  L’article 726-1 du CPP est ainsi libellé :

« Toute personne détenue, sauf si elle est mineure, peut être placée par l’autorité administrative, pour une durée maximale de trois mois, à l’isolement par mesure de protection ou de sécurité soit à sa demande, soit d’office. Cette mesure ne peut être renouvelée pour la même durée qu’après un débat contradictoire, au cours duquel la personne concernée, qui peut être assistée de son avocat, présente ses observations orales ou écrites. L’isolement ne peut être prolongé au-delà d’un an qu’après avis de l’autorité judiciaire.

Le placement à l’isolement n’affecte pas l’exercice des droits visés à l’article 22 de la loi no 2009-1436 du 24 novembre 2009 pénitentiaire, sous réserve des aménagements qu’impose la sécurité.

Lorsqu’une personne détenue est placée à l’isolement, elle peut saisir le juge des référés en application de l’article L. 521-2 du code de justice administrative ».

27.  L’article R 57-7-62 du CPP est ainsi libellé :

« La mise à l’isolement d’une personne détenue, par mesure de protection ou de sécurité, qu’elle soit prise d’office ou sur la demande de la personne détenue, ne constitue pas une mesure disciplinaire.

La personne détenue placée à l’isolement est seule en cellule.

Elle conserve ses droits à l’information, aux visites, à la correspondance écrite et téléphonique, à l’exercice du culte et à l’utilisation de son compte nominatif.

Elle ne peut participer aux promenades et activités collectives auxquelles peuvent prétendre les personnes détenues soumises au régime de détention ordinaire, sauf autorisation, pour une activité spécifique, donnée par le chef d’établissement.

Toutefois, le chef d’établissement organise, dans toute la mesure du possible et en fonction de la personnalité de la personne détenue, des activités communes aux personnes détenues placées à l’isolement.

La personne détenue placée à l’isolement bénéficie d’au moins une heure quotidienne de promenade à l’air libre ».

28.  L’article R. 57-7-63 du CPP est ainsi libellé :

« La liste des personnes détenues placées à l’isolement est communiquée quotidiennement à l’équipe de l’unité de consultation et de soins ambulatoires de l’établissement.

Le médecin examine sur place chaque personne détenue au moins deux fois par semaine et aussi souvent qu’il l’estime nécessaire.

Ce médecin, chaque fois qu’il l’estime utile au regard de l’état de santé de la personne détenue, émet un avis sur l’opportunité de mettre fin à l’isolement et le transmet au chef d’établissement ».

29.  Les articles R. 57-7-66 à R.57-7-68 du CPP prévoient que la décision d’isolement d’office ou (prolongée) est ordonnée par le chef d’établissement pour une durée maximum de trois mois, et peut être renouvelée pour la même durée par le chef d’établissement (une fois), puis par le directeur interrégional des services pénitentiaires (deux fois) et ensuite par le ministre de la Justice. L’isolement ne peut pas être prolongé au-delà de deux ans, sauf à titre exceptionnel.

 

30.   L’article R. 57-7-73 du CPP est ainsi libellé :

« Tant pour la décision initiale que pour les décisions ultérieures de prolongation, il est tenu compte de la personnalité de la personne détenue, de sa dangerosité ou de sa vulnérabilité particulière, et de son état de santé.

L’avis écrit du médecin intervenant dans l’établissement est recueilli préalablement à toute proposition de renouvellement de la mesure au-delà de six mois et versé au dossier de la procédure ».

31.  L’article R. 57-7-75 du CPP est ainsi libellé :

« L’hospitalisation de la personne détenue ou son placement en cellule disciplinaire sont sans effet sur le terme de l’isolement antérieurement décidé ».

32.  L’article R. 57-7-76 du CPP est ainsi libellé :

« Il peut être mis fin à la mesure d’isolement à tout moment par l’autorité qui a pris la mesure ou qui l’a prolongée, d’office ou à la demande de la personne détenue ».

C.  Le droit international pertinent

33.  Il est renvoyé aux travaux du Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT) et en particulier à son 21e rapport général (CPT/inf (2011)28) comportant des chapitres sur l’isolement (§§ 53 à 64 et, en particulier, §§ 57 c), 58 c) et 62). Le paragraphe 62 de ce rapport souligne que le personnel médical intervenant au sein de la prison ne doit pas participer au processus décisionnel relatif à l’isolement.

 

34.  Il est également renvoyé à la version révisée de « L’ensemble de règles minima des Nations Unies pour le traitement des détenus (Règles Nelson Mandela) (la résolution A/RES/70/175)» et en particulier à la règle 44 qui dispose ce qui suit :

« Aux fins des présentes règles, l’isolement cellulaire signifie l’isolement d’un détenu pendant 22 heures par jour ou plus, sans contact humain réel. L’isolement cellulaire prolongé signifie l’isolement cellulaire pour une période de plus de 15 jours consécutifs ».

GRIEF

35.  Invoquant l’article 3 de la Convention, le requérant allègue que son maintien en isolement après une hospitalisation a constitué un traitement contraire à cette disposition. Il affirme, d’une part, qu’aucune raison ne justifiait que la mesure soit prolongée à ce stade et, d’autre part, que les autorités n’ont pas suffisamment pris en compte son état de santé au moment de décider son maintien à l’isolement.

EN DROIT

36.  Le requérant allègue que son maintien à l’isolement est contraire à l’article 3 de la Convention, lequel est ainsi libellé :

« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ».

37.  Le Gouvernement fait valoir que le placement à l’isolement du requérant et son maintien ont été motivés par des raisons de sécurité compte tenu de son profil pénal et de l’utilisation de ses capacités financières pour contourner les règles en vigueur en détention et obtenir des services en provenance de l’extérieur de nature à troubler l’ordre public en détention. Il souligne que le placement de l’intéressé a fait l’objet d’un examen évolutif de la situation.

 

38.  Le Gouvernement affirme que le requérant a fait l’objet d’un suivi médical régulier qui n’a pas démontré de dégradation ou d’incompatibilité avec la mise à l’isolement. L’administration pénitentiaire a d’ailleurs adapté l’intensité du suivi médical pour s’assurer que le placement du requérant ne portait pas atteinte à ses droits.

 

39.  Enfin, le Gouvernement souligne que des garanties procédurales utiles ont entouré la procédure de placement à l’isolement, puisqu’un débat contradictoire avant la décision définitive a été organisé en présence de l’avocat du requérant et que celui-ci a exercé des recours aussi bien auprès de l’administration pénitentiaire qu’auprès des autorités judiciaires qui ont motivé leurs décisions.

40.  Le requérant souligne le caractère disproportionné de la mesure litigieuse, qui ne répondrait pas à un impératif de sécurité, et fait valoir que celle-ci n’a pas été justifiée par des motifs clairs et que son aptitude à l’isolement n’a pas été évaluée. Il considère que les objets saisis n’étaient pas dangereux et que les motifs du placement à l’isolement étaient succincts. Il estime qu’aucune évaluation n’a été faite de son aptitude à être placé au quartier d’isolement car les médecins du centre pénitentiaire ne sont pas habilités à se prononcer sur l’aptitude à l’isolement en tant que telle.

 

41.  Le requérant considère enfin que les garanties procédurales et les recours juridictionnels dont il a fait usage sont insuffisants.

 

42.  La Cour rappelle que l’isolement n’est pas, en soi, contraire à l’article 3 de la Convention. La compatibilité d’une mesure d’isolement s’apprécie en fonction de sa durée, de sa rigueur, de l’objectif qu’elle poursuit et de son effet sur la personne détenue. Toute décision de placement à l’isolement ou de sa prolongation doit être dûment motivée, faire l’objet d’un examen évolutif des circonstances, de la situation et de la conduite de la personne détenue et celle-ci doit pouvoir bénéficier de garanties procédurales afin d’éviter tout risque d’arbitraire (Ramirez Sanchez c. France [GC], no 59450/00, §§ 123, 139 et 145, CEDH 2006‑IX, Onoufriou c. Chypre, no 24407/04, §§ 69-70, 7 janvier 2010 et A.T. (No 2) c. Estonie, no 70465/14, §§ 72-73, CEDH 2018).

 

43.  En l’espèce, la Cour constate que si, selon le requérant, les produits trouvés lors des fouilles de sa cellule ne présentaient pas une dangerosité particulière, l’administration pénitentiaire a fondé sa décision sur son profil pénal et ses capacités financières importantes lui permettant d’obtenir des services de personnes extérieures, venant ainsi troubler l’ordre public en détention. La Cour ne doute pas de l’objectif de la mesure litigieuse, à savoir la protection de l’ordre interne de l’établissement pénitentiaire ou de ses occupants, la surveillance du requérant ayant révélé à plusieurs reprises, et même lorsqu’il était placé en isolement, des incidents qui, mis en perspective avec le profil pénal de l’intéressé, pouvaient faire craindre la commission d’autres infractions (paragraphes 5, 6, 7 et 18 ci-dessus). La mesure litigieuse visait en particulier à clarifier comment le requérant se procurait les objets et produits non autorisés en détention et à empêcher la réitération des faits.

 

44.  La Cour relève par ailleurs que la décision d’isoler le requérant a été prise par le directeur de l’établissement pour une durée de trois mois, comme l’autorise les dispositions législatives et réglementaires internes (paragraphe 26 et 29 ci-dessous). Si cette durée peut aggraver les effets négatifs de l’isolement (paragraphe 33 et 34 ci-dessus), il convient de constater, premièrement, que le requérant n’a jamais prétendu ni devant les juridictions internes ni devant la Cour que la durée globale de son isolement constituait un traitement inhumain ou dégradant. Il ne s’est plaint en particulier devant la Cour, dans son formulaire de requête et dans ses observations, que du maintien de celui-ci après son hospitalisation, soit une période d’un mois et demi environ. Deuxièmement, la Cour constate que le requérant n’a jamais prétendu non plus que le régime de détention réservé aux personnes placées à l’isolement à des fins préventives prévu à l’article R 57-7-62 du CPP (paragraphes 25 et 27 ci-dessus), à savoir un régime qui préserve au minimum l’accès aux communications téléphoniques, les droits familiaux, le droit à l’information, l’accès à la cantine et une promenade quotidienne (paragraphes 18 et 27 ci-dessus), contrevenait à l’article 3 de la Convention. Troisièmement, le requérant ne s’est pas plaint non plus des conditions matérielles de son placement à l’isolement. Enfin, la Cour observe que le directeur de la prison a décidé de la mainlevée de la mesure avant son terme, après avoir constaté une évolution positive de la conduite du requérant (paragraphe 21 ci-dessus).

 

45.  La Cour note encore que si, selon le requérant, aucune évaluation de son aptitude à être placé à l’isolement n’a été réalisée par l’administration pénitentiaire, faute d’avoir été faite par un médecin n’intervenant pas dans la prison, il apparaît que son état de santé ne justifiait pas, en tout état de cause, le recours à une telle expertise après sa sortie de l’UHP. En effet, ainsi que les juridictions internes l’on noté, aucun élément ne démontrait une aggravation de son état de santé : d’une part, le requérant est ressorti le jour ouvrable suivant son hospitalisation, et celle-ci n’a pas été jugée nécessaire par le psychiatre de l’UHP (paragraphe 15 ci-dessus) ; d’autre part, la seule attestation produite par le requérant émanant de la psychologue du centre de soins constate une « évolution certaine » de son état (paragraphe 10 ci-dessus). Dès lors, le placement à l’isolement après l’hospitalisation du requérant a pu être maintenu sur décision du chef de l’établissement.

 

46.  Le registre pénitentiaire produit par le Gouvernement permet également de constater que le requérant a fait l’objet d’un suivi très régulier par les équipes soignantes. Il a été en outre vérifié que son état de santé ne nécessitait pas des aménagements de sa détention (paragraphe 16 ci-dessus).

 

47.  Enfin, s’agissant des garanties procédurales, la Cour relève que les pièces du dossier démontrent que le requérant a bénéficié d’un débat contradictoire en présence de son avocat lors d’une audience préalable à son placement à l’isolement définitif (paragraphe 6 ci-dessus). Auparavant, le requérant a eu notification des pièces relatives à la procédure et a formulé des observations écrites (paragraphe 5 ci-dessus). Le requérant a également introduit deux recours auprès du juge des référés, puis deux appels devant le Conseil d’État, en avril et mai 2014, rejetés par ces différentes juridictions. Il a, enfin, par l’intermédiaire de son conseil, sollicité la mainlevée de la décision auprès de la direction de l’établissement pénitentiaire, qui a d’abord été refusée puis finalement acceptée en juin 2014. Dans ces conditions, la Cour estime que le requérant a bénéficié des garanties procédurales minimales requises en la matière et visant à éviter tout risque de décision arbitraire (mutatis mutandisA.T. (No2), précité, § 85).

 

48.  La Cour conclut que le requérant a été placé dans un isolement partiel et relatif justifié par des raisons de sécurité et compatible avec son état de santé, lequel a fait l’objet d’une surveillance médicale, que sa situation a régulièrement été réexaminée et qu’il a bénéficié des garanties procédurales nécessaires permettant de préserver la procédure de l’arbitraire. Partant, elle estime que son grief tiré de l’article 3 de la Convention doit être rejeté pour défaut manifeste de fondement, en application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.

Par ces motifs, la Cour,

Déclare la requête irrecevable.

Fait en français puis communiqué par écrit le 14 mai 2020.