Il incombe au juge du contrat, saisi par une partie d'un recours de plein contentieux contestant la validité d'une mesure de résiliation et tendant à la reprise des relations contractuelles, lorsqu'il constate que cette mesure est entachée de vices relatifs à sa régularité ou à son bien-fondé, de déterminer s'il y a lieu de faire droit, dans la mesure où elle n'est pas sans objet, à la demande de reprise des relations contractuelles, à compter d'une date qu'il fixe, ou de rejeter le recours, en jugeant que les vices constatés sont seulement susceptibles d'ouvrir, au profit du requérant, un droit à indemnité

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La SARL Océan 3 a demandé au tribunal administratif de Rennes, dans le dernier état de ses écritures, à titre principal, d'ordonner la reprise des relations contractuelles avec la chambre de commerce et d'industrie de Saint-Malo Fougères, à titre subsidiaire, de condamner la chambre de commerce et d'industrie à lui verser une indemnité au titre de la résiliation irrégulière du contrat qu'elle avait conclu avec elle, en tout état de cause, de condamner la chambre de commerce et d'industrie aux dépens et de mettre à sa charge la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 1700281 du 14 mai 2019, le tribunal administratif de Rennes, d'une part, a rejeté la demande de la SARL Océan 3 (article 1er), d'autre part, a accueilli la demande reconventionnelle de la chambre de commerce et d'industrie territoriale d'Ille-et-Vilaine, venant aux droits de la chambre de commerce et d'industrie de Saint-Malo Fougères, en condamnant la société Océan 3 à verser à la chambre de commerce et d'industrie la somme de 315 826,24 euros majorée des intérêts au taux légal à compter du 12 avril 2018 et de leur capitalisation (article 2), enfin, a mis à la charge de la société Océan 3 une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 5 juillet 2019, et des mémoires, enregistrés les 15 octobre 2019 et 6 février 2020, la SARL Océan 3, représentée par Me E..., demande à la cour :

1°) à titre principal, d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Rennes en date du 14 mai 2019, d'ordonner la reprise des relations contractuelles avec la chambre de commerce et d'industrie territoriale d'Ille-et-Vilaine et de rejeter l'intervention volontaire de la société EDEIS Ports Saint-Malo Cancale ; 

2°) à titre subsidiaire, de retenir que la société EDEIS Ports Saint-Malo Cancale vient aux droits et obligations de la chambre de commerce et d'industrie territoriale d'Ille-et-Vilaine et d'ordonner la reprise des relations contractuelles avec cette société ; 

3°) de mettre à la charge de la chambre de commerce et d'industrie territoriale d'Ille-et-Vilaine ou de la société EDEIS Ports Saint-Malo Cancale la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :
- il n'est pas prouvé que la société EDEIS Ports Saint-Malo Cancale vienne aux droits de la CCIT d'Ille-et-Vilaine ;
- le mémoire de la société EDEIS Ports Saint-Malo Cancale doit être interprété comme une intervention volontaire et la CCIT d'Ille-et-Vilaine doit être regardée comme s'étant désistée de sa demande de première instance ; 
- la résiliation est irrégulière et ne pouvait pas légalement reposer sur l'article 37.1 du cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés publics industriels (CCAG-MI) de 2009 ;
- la résiliation du marché était caractérisée dès les 13 et 24 mai 2016 ;
- les coffres d'amarrages de navires fournis par elle étaient conformes aux exigences du cahier des clauses techniques particulières, les essais sur ces coffres ayant été réalisés dans des conditions distinctes de celles prévues contractuellement ; 
- les délais contractuels ont été respectés en sorte que la mesure de résiliation est disproportionnée ; 
- les conditions de stockage des coffres sont inappropriées ; 
- la chambre de commerce et d'industrie (CCI) avait insuffisamment défini ses besoins ;
- le décompte de résiliation n'était pas définitif ;
- la CCI ne peut lui demander le paiement d'une somme de 277 190,40 euros TTC dès lors que celle-ci correspond à la valeur contractuelle des deux premiers coffres livrés à la CCI ;
- la résiliation du marché aux torts de la SARL Océan 3 étant irrégulière, la CCI ne peut mettre à la charge de la SARL Océan 3 les sommes relatives au démontage et au replacement des anciens coffres (30 059 euros TTC) ainsi qu'à la location d'un remorqueur (8 576,84 euros TTC) ;
- en tout état de cause, l'article 39 du CCAG-MI ne prévoit pas que ces sommes puissent être inscrites dans le décompte de résiliation.

Par des mémoires, enregistrés les 15 octobre 2019 et 24 octobre 2019, la chambre de commerce et d'industrie territoriale d'Ille-et-Vilaine, représentée par la SELARL Martin Avocats, conclut au rejet de la requête et demande à la cour, dans le dernier état de ses écritures, de mettre à la charge de la SARL Océan 3 une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que les moyens soulevés ne sont pas fondés.

Par un mémoire, enregistré le 22 janvier 2020, la société EDEIS Ports Saint-Malo Cancale, représentée par la SELARL Martin Avocats, soutient qu'elle vient aux droits de chambre de commerce et d'industrie territoriale d'Ille-et-Vilaine.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :
- le code des marchés publics ;
- l'arrêté du 16 septembre 2009 portant approbation du cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés publics industriels ; 
- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Jouno, rapporteur,
- les conclusions de M. Besse, rapporteur public,
- et les observations de Me A..., représentant la société Océan 3, et Me D... B..., représentant la CCIT de Saint-Malo Fougères.

Une note en délibéré, enregistrée le 9 juin 2020 à 15 H 25, a été présentée pour la société Océan 3.

Considérant ce qui suit :

1. Par un acte d'engagement du 4 février 2015, la chambre de commerce et d'industrie (CCI) de Saint-Malo Fougères, aux droits de laquelle est venue la chambre de commerce et d'industrie territoriale (CCIT) d'Ille-et-Vilaine, a attribué à la société Océan 3 un marché dont l'objet était, compte tenu de la souscription par le pouvoir adjudicateur d'une option, la conception, la fabrication, la livraison et l'installation de quatre coffres d'amarrage de navires et paquebots destinés au port de Saint-Malo. Le prix global et forfaitaire de ce marché était de 389 240 euros HT par coffre d'amarrage. La Société Océan 3, qui a assuré la conception et la fabrication des coffres, a sous-traité leur livraison à la société Courcelles et leur mise en place à la Société Tetis. Le 11 décembre 2015 les deux premiers coffres ont été mis en place et, le 27 janvier 2016, un avenant a été conclu, afin notamment de ne pas faire application des pénalités de retard prévues au marché et de modifier les délais d'exécution des prestations. Par courrier du 25 novembre 2016, la CCI a informé la société Océan 3 du rejet de l'ensemble des prestations et fournitures réalisées et livrées dans le cadre du marché en raison du non-respect des délais contractuels et de la non-conformité des coffres aux exigences du cahier des clauses techniques particulières (CCTP). En conséquence, par ce même courrier, elle a, d'une part, résilié le marché pour faute du titulaire, sur le fondement de l'article 37.1 du cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés publics industriels (CCAG-MI). D'autre part, la CCI a notifié le décompte de résiliation, tout en mettant la société Océan 3 en demeure de lui rembourser, avant le 7 décembre 2016, la somme de 315 826,24 euros. La société Océan 3 a alors saisi le tribunal administratif de Rennes, le 23 janvier 2017, d'une demande tendant, à titre principal, à la reprise des relations contractuelles avec la CCIT et, à titre subsidiaire, à la condamnation de celle-ci à lui verser une indemnité en réparation de la résiliation irrégulière. Par un jugement du 14 mai 2019, le tribunal administratif de Rennes, d'une part, a rejeté la demande de la SARL Océan 3 (article 1er), d'autre part, a accueilli la demande reconventionnelle de la CCIT en condamnant la société Océan 3 à verser à la CCIT la somme de 315 826,24 euros, majorée des intérêts au taux légal à compter du 12 avril 2018 et de leur capitalisation, au titre du solde du décompte de liquidation (article 2). La société Océan 3 relève appel de ce jugement. 

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

En ce qui concerne la validité de la mesure de résiliation :

2. Il incombe au juge du contrat, saisi par une partie d'un recours de plein contentieux contestant la validité d'une mesure de résiliation et tendant à la reprise des relations contractuelles, lorsqu'il constate que cette mesure est entachée de vices relatifs à sa régularité ou à son bien-fondé, de déterminer s'il y a lieu de faire droit, dans la mesure où elle n'est pas sans objet, à la demande de reprise des relations contractuelles, à compter d'une date qu'il fixe, ou de rejeter le recours, en jugeant que les vices constatés sont seulement susceptibles d'ouvrir, au profit du requérant, un droit à indemnité. Dans l'hypothèse où il fait droit à la demande de reprise des relations contractuelles, il peut décider, si des conclusions sont formulées en ce sens, que le requérant a droit à l'indemnisation du préjudice que lui a, le cas échéant, causé la résiliation, notamment du fait de la non-exécution du contrat entre la date de sa résiliation et la date fixée pour la reprise des relations contractuelles.

3. Pour déterminer s'il y a lieu de faire droit à la demande de reprise des relations contractuelles, il incombe au juge du contrat d'apprécier, eu égard à la gravité des vices constatés et, le cas échéant, à celle des manquements du requérant à ses obligations contractuelles, ainsi qu'aux motifs de la résiliation, si une telle reprise n'est pas de nature à porter une atteinte excessive à l'intérêt général et, eu égard à la nature du contrat en cause, aux droits du titulaire d'un nouveau contrat dont la conclusion aurait été rendue nécessaire par la résiliation litigieuse.
S'agissant de la régularité de la mesure de résiliation :

4. En premier lieu, en dehors du cas où elle est prononcée par le juge, la résiliation d'un contrat administratif résulte, en principe, d'une décision expresse de la personne publique cocontractante. Cependant, en l'absence de décision formelle de résiliation du contrat prise par la personne publique cocontractante, un contrat doit être regardé comme tacitement résilié lorsque, par son comportement, la personne publique doit être regardée comme ayant mis fin, de façon non équivoque, aux relations contractuelles.

5. En l'espèce, la société Océan 3 fait valoir qu'au vu des circonstances de l'espèce, il apparaît que le marché a été résilié tacitement dès les 13 et 24 mai 2016, en sorte qu'elle n'a pas bénéficié de la garantie tenant à l'envoi d'une mise en demeure. Toutefois, il résulte, en tout état de cause, de l'instruction que ce n'est que par un courrier du 25 novembre 2016 que la résiliation du marché a été prononcée, aucun agissement de la CCI ne caractérisant antérieurement une résiliation tacite. 

6. En deuxième lieu, aux termes de l'article 30.1 du CCAG-MI, approuvé par arrêté du 16 septembre 2009 et applicable au marché litigieux en vertu de l'article 2.2. du cahier des clauses administratives particulières (CCAP) : " Les délais de constatation dont dispose le pouvoir adjudicateur sont les suivants : / (...) - pour effectuer les opérations de vérification dans les lieux de livraison prévus dans les documents particuliers du marché et notifier sa décision, le pouvoir adjudicateur dispose de sept jours à compter de l'arrivée des prestations à destination. Lorsqu'une épreuve technique est imposée après la livraison, ce délai est alors d'un mois à compter de l'arrivée des prestations à destination ". Aux termes de l'article 31 du même cahier : " A l'issue des opérations de vérification, le pouvoir adjudicateur prend une décision de réception, d'ajournement, de réfaction ou de rejet dans les conditions prévues au présent article. / Si le pouvoir adjudicateur ne notifie pas sa décision dans les délais de constatation prévus à l'article 30.1, les prestations sont réputées reçues. (...) ". 

7. La société Océan 3 soutient que la mise en place des deux premiers coffres avait été réalisée le 11 décembre 2015 et que l'avenant du 27 janvier 2016 prévoyait que la date limite des essais était fixée au 4 mars 2016. Elle en déduit qu'en application de l'article 30.1 du CCAG-MI, la CCI ne pouvait faire part de ses observations à la suite des opérations de vérification que jusqu'au 4 avril 2016 et que, faute, pour le pouvoir adjudicateur, d'avoir respecté ce délai, les prestations doivent être réputées reçues par application de l'article 31 du CCAG-MI. Toutefois, l'article 2 du CCAP stipule que l'avenant au marché, daté du 27 janvier 2016, et le CCAP lui-même sont des pièces constitutives du marché prioritaires par rapport au CCAG-MI. Or, l'article 4.1. du CCAP, tel que modifié par le II de l'article D de cet avenant, stipule que la " date limite de mise en place de la première paire de coffres " est le 11 décembre 2015 et que la " date limite des essais (ferry) de la première paire de coffres " est le 4 mars 2016. Ainsi, ces stipulations particulières dérogent à celles de l'article 30.1 du CCAG-MI selon lesquelles, lorsqu'une épreuve technique est imposée après la livraison, le pouvoir adjudicateur dispose d'un délai d'un mois pour effectuer les opérations de vérification et notifier au titulaire du marché sa décision quant aux éléments livrés. Dès lors, la société Océan 3 ne peut utilement invoquer une méconnaissance du délai d'un mois prévu par cet article 30.1, qui n'est pas applicable en l'espèce.

8. En troisième lieu, aux termes de l'article 30.2 du CCAG-MI : " Les constatations réalisées par le pouvoir adjudicateur [à l'issue des opérations de vérification] sont consignées dans un procès-verbal mentionnant, s'il y a lieu, les réserves du titulaire ". La société Océan 3 soutient que la CCI s'est abstenue de consigner par procès-verbal les non-conformités affectant les deux premiers coffres livrés le 11 décembre 2015, en méconnaissance de ces stipulations. Toutefois, s'il n'est pas établi que les essais réalisés sur les deux premiers coffres d'amarrage, le 14 avril 2016, ont donné lieu à l'établissement d'un procès-verbal, la requérante ne peut utilement s'en prévaloir et cela n'est en tout état de cause pas de nature à lui ouvrir droit à une indemnité en applications des principes rappelés au point 2 ci-dessus, dès lors d'une part qu'il résulte de l'instruction que les opérations de vérification n'ont pas pu être organisées dans le strict respect des stipulations précitées en raison du comportement de la société Océan 3, qui n'a jamais elle-même proposé en temps utile le programme d'essais qu'il lui incombait de préparer en vertu de l'article 7.5.2 du CCAP, essais pourtant prévus dans le coût du marché aux termes de l'article 9.1 du CCAP qui stipule : " Avant réception, les engins seront soumis à des essais pratiques destinés à vérifier leur stabilité, leur résistance et leur bon fonctionnement. / L'ensemble des moyens nécessaires aux essais (appareils de mesure, enregistreurs, charges d'essais) sont à la charge de l'entreprise. / Les essais seront effectués sous la direction et la responsabilité de l'entreprise et leur coût sera inclus dans le marché. ". D'autre part, les constatations du pouvoir adjudicateur, réalisées lors des essais dont il s'agit, ont été portés clairement à la connaissance de la société Océan 3 dans le courrier de résiliation, ce qui lui a permis de les contester utilement, ainsi qu'elle l'aurait fait si ces constatations avaient été consignées dans le procès-verbal mentionné à l'article 30.2 du CCAG-MI.

S'agissant du bien-fondé de la mesure de résiliation :

9. En premier lieu, aux termes de l'article 37.1 du CCAG-MI : " Le pouvoir adjudicateur peut résilier le marché pour faute du titulaire dans les cas suivants : / (...) c) Le titulaire ne s'est pas acquitté de ses obligations dans les délais contractuels (...) ". La société requérante ne peut sérieusement prétendre que ces stipulations, qui visent tant le manquement du titulaire du marché à ses obligations que le défaut de respect des délais stipulés, n'autoriseraient pas le pouvoir adjudicateur à résilier le marché pour défaut de conformité des ouvrages.
10. En deuxième lieu, d'une part, aux termes de l'article 29.3 du CCAG-MI, lequel porte sur la présence du titulaire du marché lors des opérations de vérification : " Le pouvoir adjudicateur avise le titulaire des jours et heures fixés pour les vérifications, afin de lui permettre d'y assister ou de se faire représenter. / L'absence du titulaire dûment avisé, ou de son représentant, ne fait pas obstacle au déroulement ou à la validité des opérations de vérification ". En vertu de l'article 7.6 du CCAP, les opérations de vérification, également dénommées " essais techniques ", sont réalisées par l'assistant technique, la société Stratébord, ou par un organisme agréé par lui. D'autre part, aux termes de l'article 1.4 du CCTP : " (...) Les coffres sont utilisés pour amarrer des navires d'un maximum de 66 000 tonnes (navire de référence type "Marina"). (...) " et aux termes de l'article 2.1. du même cahier : " Navires à amarrer : comme indiqué précédemment, le navire type choisi est le "Marina" ". 

11. La requérante soutient que la CCI n'était pas fondée à estimer que les coffres d'amarrage livrés n'étaient pas conformes aux exigences du CCTP, dès lors que les opérations de vérification, auxquelles elle n'avait pas été conviée, n'auraient pas été réalisées conformément aux stipulations précitées et ne lui seraient dès lors pas opposables. Toutefois, d'une part, comme il a été dit au point 8, en méconnaissance de l'article 7.5.2 du CCAP et de l'article 4.1. du même cahier tel que modifié par l'avenant du 27 janvier 2016, la société Océan 3 avait omis de préparer le programme d'essais relatif aux deux premiers coffres qu'elle avait livrés, en sorte que ces essais n'ont pu avoir lieu avant la date limite convenue par les parties, le 4 mars 2016. C'est en raison de ce manquement de la société Océan 3 à ses obligations contractuelles que le pouvoir adjudicateur a réalisé de son propre chef des essais, le 14 avril 2016, qu'il a estimés non concluants. Or aucune stipulation contractuelle n'imposait au pouvoir adjudicateur de convier la société Océan 3 à de tels essais, non expressément prévus au contrat et faisant suite à la défaillance du titulaire du marché, alors surtout que l'article 7.6 du CCAP stipule également que " La CCI de Saint-Malo Fougères se réserve le droit de faire des essais et contrôles en sus de ceux prévus par le marché. ".

12. D'autre part, les stipulations du CCTP invoquées par la requérante prévoient que les coffres d'amarrage étaient destinés à être utilisés avec tout navire marchand ou paquebot de croisière jaugeant jusqu'à 66 000 tonnes, et ne citent le " Marina ", jaugeant environ 60 000 tonnes, qu'à titre d'exemple des navires à amarrer. De telles stipulations ne s'opposaient pas à ce que les coffres d'amarrage livrés à la CCI soient testés sur un navire tel que le " Minerva ", jaugeant seulement 12 500 tonnes et présentant des caractéristiques techniques différentes. La société Océan 3 ne peut ainsi être fondée à soutenir que les résultats des essais réalisés avec le " Minerva " devraient être écartés et que les coffres d'amarrage ne devaient recevoir qu'un seul type de navires. 

13. En troisième lieu, la société Océan 3 soutient que les coffres livrés présentaient, en terme de stabilité à vide, de stabilité en charge ainsi qu'en matière de sécurité, des caractéristiques techniques les rendant conformes aux exigences du CCTP. Toutefois, il résulte de l'instruction que les essais menés le 14 avril 2016, dont la méthodologie n'est pas sérieusement contestée, ont été, sur l'ensemble de ces points, non-concluants. En effet, il est apparu qu'à vide l'inclinaison du coffre d'amarrage lors de sa mise à l'eau était de 18 %, ce qui était susceptible de rendre les manoeuvres d'amarrage beaucoup plus difficiles et constituait une valeur sensiblement supérieure à celles prévues dans le mémoire technique de l'offre d'Océan 3, laquelle avait valeur contractuelle en vertu de l'article 2.1 du CCAP, qui mentionnait une inclinaison de 7 %. Par ailleurs, les essais ont également établi que lorsqu'ils sont en charge les coffres fabriqués par la société requérante basculent vers l'avant, ce qui méconnaît l'exigence de stabilité prévue au contrat, dès lors que le CCTP stipule en son article 1.4 " Pour des soucis de stabilité et de sécurité, la géométrie des coffres doit permettre de prévenir l'inclinaison de ce dernier pendant son utilisation. " et à l'article 3.3 " Utilisation. (...) Eviter le basculement du coffre... ".

14. En quatrième lieu, la société Océan 3 soutient qu'aucun défaut de respect des délais ne peut lui être imputé dès lors qu'elle a mis en place la première paire de coffres le 11 décembre 2015, soit dans les délais prévus par l'avenant du 27 janvier 2016, et que, si la seconde paire de coffres n'a pas été livrée, c'est en raison du comportement de la CCI, laquelle a estimé à tort au terme des essais qu'elle a menés irrégulièrement que la première paire de coffres était non-conforme. Toutefois, comme il vient d'être dit, les essais réalisés par la CCI sur la première paire de coffres n'étaient pas irréguliers au regard des exigences contractuelles. En outre, leurs résultats doivent être tenus pour exacts, faute pour la société Océan 3 d'avoir démontré que ces essais auraient été réalisés dans des conditions non-conformes aux exigences du CCTP ou procéderaient d'une méthodologie viciée dans son principe. Par suite, la CCI pouvait, à bon droit, se fonder sur les résultats de ces essais, dont il ressortait que des modifications étaient nécessaires sur les deux premiers coffres d'amarrage. Or, la société Océan 3 s'est abstenue de réaliser de telles modifications, de sorte que les coffres livrés ne pouvaient être mis définitivement en place dans le délai prévu par l'avenant du 27 janvier 2016, à savoir avant le 22 avril 2016. C'est donc à bon droit que le pouvoir adjudicateur a estimé que la société Océan 3 n'avait pas respecté les délais qui lui étaient impartis pour la mise en place de la première paire de coffres. Dès lors que la seconde paire de coffres d'amarrage n'a jamais été livrée, le pouvoir adjudicateur était, par ailleurs, fondé à estimer que les délais contractuels n'avaient pas été tenus par la société Océan 3 s'agissant également de la mise en place de cette seconde paire de coffres.

15. En cinquième lieu, la société Océan 3 soutient que la paire de coffres d'amarrage qu'elle a livrée a été retirée de l'eau et a été stockée dans des conditions inappropriées. Mais une telle circonstance, à la supposer avérée, est sans incidence sur la validité de la résiliation. 

16. En sixième lieu, la société Océan 3 soutient que les besoins de la CCI ont été mal définis dans les documents contractuels, si bien que le pouvoir adjudicateur ne pouvait résilier le marché pour faute du titulaire sans manquer à l'exigence de loyauté dans les relations contractuelles. Toutefois, il résulte de l'ensemble des énonciations du CCTP, qui mentionnent en particulier la destination des coffres d'amarrage et définissent avec une précision suffisante leurs caractéristiques techniques, que les besoins de la CCI ont été clairement définis. Par suite, le moyen ne peut qu'être écarté.

 
En ce qui concerne le solde du décompte de liquidation :

17. Aux termes de l'article 39.1 du CCAG-MI : " La résiliation fait l'objet d'un décompte de résiliation, qui est arrêté par le pouvoir adjudicateur et notifié au titulaire ". Aux termes de l'article 39.3 du même cahier : " Le décompte de liquidation à la suite d'une décision de résiliation [pour faute du titulaire] prise en application de l'article 37 comprend : / 39.3.1. Au débit du titulaire : / - le montant des sommes versées à titre d'avance, d'acompte, de règlement partiel définitif et de solde ; - la valeur, fixée par le marché et ses avenants éventuels, des moyens confiés au titulaire que celui-ci ne peut restituer, ainsi que la valeur de reprise des moyens que le pouvoir adjudicateur cède à l'amiable au titulaire ; - le montant des pénalités ; - le cas échéant, le supplément des dépenses résultant de la passation d'un marché aux frais et risques du titulaire dans les conditions fixées à l'article 41. / 39.3.2. Au crédit du titulaire : / - la valeur contractuelle des prestations reçues y compris, s'il y a lieu, les intérêts moratoires ; - la valeur des prestations fournies éventuellement à la demande du pouvoir adjudicateur telles que le stockage des fournitures. ".

18. En premier lieu, il résulte de l'instruction que l'annexe 2 au courrier du 25 novembre 2016 portant décision de résiliation pour faute du titulaire comprend un " décompte de résiliation ", lequel, bien que non signé, a été arrêté par le pouvoir adjudicateur et comprend l'ensemble des éléments, mentionnées à l'article 39.3. du CCAG-MI, devant être mis soit au crédit soit au débit du titulaire du marché. La requérante n'est ainsi pas fondée à soutenir qu'aucun décompte de résiliation régulier ne lui aurait été notifié.

19. En deuxième lieu, la société Océan 3 ne peut être fondée à soutenir, en substance, qu'aucune somme ne pouvait être mise à sa charge par les premiers juges au titre du solde du décompte de liquidation au motif qu'elle avait introduit un recours en contestation de la validité de la mesure de résiliation. En effet, lorsque le solde du décompte de liquidation est créditeur en faveur du pouvoir adjudicateur, un tel recours n'interdit pas à ce dernier de demander au juge de condamner le titulaire du marché résilié au paiement de ce solde, ni ne faisait obstacle à ce qu'une telle demande soit accueillie.

20. En troisième lieu, la société Océan 3 soutient que le pouvoir adjudicateur ne peut lui demander le paiement d'une somme de 277 190,40 euros TTC dès lors que celle-ci correspond à la valeur des deux premiers coffres livrés à la CCI et doit donc être mise à son crédit dans le décompte de liquidation. Toutefois, ainsi qu'il a été dit, les deux coffres d'amarrage en cause n'étaient pas conformes aux stipulations contractuelles et n'ont pas été modifiés par le titulaire du marché pour satisfaire aux exigences en résultant. Par suite, cette somme, qui correspondait au montant cumulé des paiements effectués au profit de la société Océan 3 et de ses sous-traitants, devait, en application de l'article 39.3.1 du CCAG-MI être mise au débit du titulaire du marché résilié.

21. En quatrième lieu, la société Océan 3 fait valoir que la résiliation du marché étant irrégulière, le pouvoir adjudicateur ne pouvait mettre à sa charge les sommes relatives au démontage et au replacement des anciens coffres, s'élevant à 30 059 euros TTC, ainsi qu'à la location d'un remorqueur, pour 8 576,84 euros TTC. Mais ce moyen, reposant sur la prémisse erronée selon laquelle la résiliation était irrégulière, ne peut qu'être écarté.

22. En cinquième lieu, la requérante expose que l'article 39 du CCAG-MI ne prévoit pas que les sommes mentionnées au point précédent puissent être inscrites dans le décompte de résiliation. Toutefois, les frais résultant, pour le pouvoir adjudicateur, de la mauvaise exécution du marché par son cocontractant ont vocation à être compris dans le décompte, en vertu du principe d'unicité de celui-ci. Or, les frais exposés par la CCI pour le démontage des coffres d'amarrage livrés par la société Océan 3 et leur remplacement par ceux antérieurement utilisés au port de Saint-Malo procèdent des manquements de cette société à ses obligations contractuelles. Ils avaient donc vocation à être intégrés au décompte de liquidation et à y être portés au débit de la société Océan 3.

23. Il résulte de tout ce qui précède que la société Océan 3 n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande et accueilli les conclusions reconventionnelles présentées par la CCIT d'Ille-et-Vilaine. 

Sur les frais liés au litige :

24. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative s'opposent à ce qu'il soit fait droit aux conclusions présentées à ce titre par la société Océan 3. Il n'y a par ailleurs pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, compte tenu de sa situation économique, de mettre à la charge de cette société le versement à la CCIT d'Ille-et-Vilaine d'une somme au titre des frais exposés par cette dernière et non compris dans les dépens.

DECIDE :

Article 1er : La requête de la société Océan 3 est rejetée.
Article 2 : Les conclusions présentées par la chambre de commerce et d'industrie territoriale d'Ille-et-Vilaine au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société Océan 3, à la chambre de commerce et d'industrie territoriale d'Ille-et-Vilaine.