Bien loin de nos préoccupations actuelles, mais … dans l'instance Ville de Paris - AIRBNB, l'avocat général de la CJUE de Luxembourg propose à la Cour de décider qu’une réglementation nationale ou municipale qui soumet la location d’un local meublé pour de courtes durées à une autorisation est compatible avec la directive 2006/123, à condition qu’elle respecte les conditions de proportionnalité et de non-discrimination.

Cour de justice de l’Union européenne 

COMMUNIQUE DE PRESSE n° 44/20 

Luxembourg, le 2 avril 2020 

Conclusions de l’avocat général dans les affaires jointes C-724/18 et C-727/18 Cali Apartments contre Procureur général près la cour d’appel de Paris et Ville de Paris, et HX contre Procureur général près la cour d’appel de Paris et Ville de Paris 

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Selon l’avocat général Bobek, la directive 2006/123 est applicable à la location de courte durée d’un local meublé dans l’économie collaborative 

Une pénurie de logements destinés à la location de longue durée constitue une raison impérieuse d’intérêt général permettant de justifier une mesure nationale soumettant à autorisation la location, de manière répétée, d’un local destiné à l’habitation pour de courtes durées à une clientèle de passage qui n’y élit pas domicile 

Cali Apartments et HX (ci-après « les requérants ») sont chacun propriétaire d’un studio situé à Paris (France). En 2015, les services municipaux de la ville de Paris ont effectué une enquête afin de déterminer si les requérants offraient leurs studios à la location de courte durée en tant que biens meublés sur la plateforme Airbnb sans autorisation. À la suite de cette enquête, les requérants ont été condamnés au paiement d’une amende et au retour des biens à leur usage d’habitation. La ville de Paris est intervenue à l’instance introduite par le procureur de la République. Après le rejet de leur appel initial, les requérants ont formé un pourvoi en cassation devant la Cour de cassation (France), la juridiction de renvoi. 

La juridiction de renvoi souhaite savoir si une réglementation nationale qui soumet la location d’un local meublé pour de courtes durées à une autorisation administrative relève du champ 1 d’application de la directive 2006/123 . 

Dans les conclusions de ce jour, l’avocat général Michal Bobek conclut que la directive 2006/123 est applicable à des dispositions nationales et municipales encadrant l’accès à un service qui consiste en la location, en contrepartie du paiement d’un prix, même à titre non professionnel, de manière répétée et pour de courtes durées, d’un local meublé à usage d’habitation à une clientèle de passage n’y élisant pas domicile. L’objectif tenant à la lutte contre la pénurie de logements destinés à la location de longue durée peut, toutefois, constituer une raison impérieuse liée à l’intérêt général permettant de justifier une mesure nationale qui exige l’obtention d’une autorisation. De telles dispositions nationales et municipales sont autorisées par la directive 2006/123, à condition qu’elles respectent les conditions de proportionnalité et de non-discrimination, ce qu’il appartient à la juridiction nationale de vérifier. 

Selon l’avocat général Bobek, l’analyse requise doit être effectuée par rapport aux dispositions nationales et municipales applicables, dès lors que le régime d’autorisation en cause est constitué d’un ensemble de ces deux niveaux de règles. 

En ce qui concerne le champ d’application de la directive 2006/123, l’avocat général considère qu’une réglementation soumettant à autorisation le changement d’usage d’un bien destiné à l’habitation relève du champ d’application de la directive 2006/123. En particulier, les dispositions en cause constituent un régime d’autorisation au sens de la directive. Les propriétaires de biens qui souhaiteraient louer leurs locaux meublés pour de courtes durées doivent se conformer à une procédure administrative visant à obtenir du maire, sous réserve du respect de certaines conditions, une autorisation administrative formelle. 

En ce qui concerne la compatibilité de ce régime d’autorisation avec la directive 2006/123, ni la liberté d’entreprise ni le droit de propriété n’ont de caractère absolu et peuvent tous deux être limités. En d’autres termes, si le contrôle de l’usage n’est pas une limitation à ce point sévère qu’elle constitue de fait une expropriation ou une dépréciation dissimulées de l’immeuble, des limitations à ces droits sont admises. 

Selon l’avocat général Bobek, lutter contre une pénurie de logements et chercher à garantir la disponibilité de logements suffisants (destinés à la location de longue durée) et abordables (notamment dans des hauts lieux touristiques), ainsi que la protection de l’environnement urbain, constituent des justifications valables pour l’établissement de régimes d’autorisation fondés de manière générale sur une politique sociale. Par conséquent, le régime d’autorisation en cause constitue clairement un moyen autorisé par la directive 2006/123. 

Si l’instauration du régime d’autorisation est proportionnée, la proportionnalité de l’obligation de compensation, sous la forme de la transformation concomitante en habitation de locaux ayant un autre usage, est un peu plus contestable, notamment telle qu’elle est conçue par la ville de Paris en ce qui concerne les propriétaires non professionnels. Toutefois, il appartient, à titre principal, à la juridiction de renvoi d’apprécier la compatibilité des conditions d’autorisation avec la directive 2006/123. Selon l’avocat général Bobek, la diversité locale quant aux conditions spécifiques d’autorisation est non seulement autorisée, mais elle est même souhaitable. S’il est admis que le niveau local peut adopter des règles et préciser les conditions d’un régime d’autorisation, la proportionnalité de ces règles dépendra probablement de la prise en compte des circonstances et spécificités locales. 

1 Directive 2006/123/CE du Parlement européen et du Conseil, du 12 décembre 2006, relative aux services dans le marché intérieur (JO 2006, L 376, p. 36).

 

RAPPEL : Les conclusions de l’avocat général ne lient pas la Cour de justice. La mission des avocats généraux consiste à proposer à la Cour, en toute indépendance, une solution juridique dans l’affaire dont ils sont chargés. Les juges de la Cour commencent, à présent, à délibérer dans cette affaire. L’arrêt sera rendu à une date ultérieure. 

RAPPEL : Le renvoi préjudiciel permet aux juridictions des États membres, dans le cadre d’un litige dont elles sont saisies, d’interroger la Cour sur l’interprétation du droit de l’Union ou sur la validité d’un acte de l’Union. La Cour ne tranche pas le litige national. Il appartient à la juridiction nationale de résoudre l’affaire conformément à la décision de la Cour. Cette décision lie, de la même manière, les autres juridictions nationales qui seraient saisies d’un problème similaire. 

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